Chapitre 4 des
AVENTURES TROPICALES DES SKIPPERS EN POÉSIE.
Les dessous sombres de la vie caribéenne !
Je vous souhaite une bonne lecture...
4
Le port commence à s'animer, avec le retour des premiers bateaux de pêche. Ils entrent dans le petit restaurant où ils ont l'habitude de déjeuner. Un silence accueille étrangement leur arrivée, avant que la patronne, une matrone à la peau bronzée et à l'impressionnante poitrine, ne les salue bruyamment. Elle prend la peine de sortir de sa cuisine et les embrasse chaleureusement.
— J'ai du poisson tout frais. Je vous prépare un ceviche et quelques gambas, qui viennent d'arriver. Installez-vous. Une petite bière bien fraîche et quelques tapas pour commencer. Allez, faites comme chez vous.
Elle les pousse dans un coin de la salle. Pierre lui indique une table d'où ils ont une vue sur le port et l'océan. Elle rétorque qu'il y a du courant d'air, mais les deux hommes insistent et finalement, dans un soupir, elle accède à leur demande en levant les yeux au ciel.
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— Je préfère voir qui entre et ce qui se passe à l'extérieur. Je commence à devenir parano, explique Pierre. Mais j'ai une impression étrange.
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— Parce que tu reviens d'un séjour assez long en Europe. C'est la première fois que nous restons plus de deux mois sans mission.
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— Sans doute as-tu raison.
Ils se taisent quand la serveuse vient dresser sommairement la table, l'habillant de sets en papier après l'avoir vaguement nettoyée, de couverts et d'assiettes qu'Antoine s'empresse d'essuyer avec un mouchoir propre qu'il a toujours dans sa poche. Il regarde son kleenex et le gras qu'il a retiré de sa vaisselle sommaire qu'il indique à Pierre qui refuse en riant son offre de nettoyage.
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— Tu vas vexer notre cuisinière.
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— Penses-tu ! J'ai vu parfois certains locaux le faire et lui reprocher le manque d'hygiène de
son établissement.
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— Depuis plus de trois ans que nous y mangeons, on n'a jamais eu de problème. Tu ne crois
pas qu'on a connu pire ?
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— Certes, mais nous étions plus jeunes.
La serveuse dépose les bières et le plat de ceviche dont la fraîcheur les régale. Ce plat depoisson cru, mariné dans du citron et accommodé de coriandre, sel, poivre, aromates et quelques tomates, oignons et poivrons découpés est un vrai délice, rafraîchissant et laissant en bouche un goût exquis. Ils terminent le plat dans l'attente des gambas accompagnées de riz parfumé légèrement safrané.
Le dessert se compose de fruits frais, ananas, bananes, mangues et fruits de la passion. Les deux amis savent bien que leur facture est très largement surévaluée par rapport aux locaux. Mais aucun prix n'est affiché. Vraiment à la tête du client ! Ils terminent sur un café, loin de l'expresso italien, mais accompagné d'une liqueur ambrée qui fait passer la facture.
Quelques clients, des marins et quelques ouvriers du port, discutent près du comptoir. La cuisinière ne cesse de regarder la porte. Elle paraît inquiète et son attitude étonne Pierre.
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— Tu ne la trouves pas bizarre ?
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— Qui ? répond Antoine, complètement déconnecté.
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— Anita, la patronne.
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— Elle est très lunatique. Parfois, elle te saute au cou et le lendemain, ne dira pas trois
paroles. Elle a peut-être des soucis avec un de ses enfants, elle en a quatre ou cinq, plus
ses nombreux petits-enfants ou un de ses amants, et tu sais qu'elle en a plusieurs !
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— Je la connais. Mais je la trouve inquiète. Elle ne cesse de surveiller la porte et les quais.
Pourquoi ne voulait-elle pas qu'on s'installe dans ce coin d'où on a vue sur le port ?
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— Je ne sais pas. Je ne vois pas quel rôle elle peut jouer dans notre boulot. Nous sommes de bons clients. On ne rechigne pas sur les prix exorbitants qu'elle pratique pour nous.
Nous sommes parfois venus avec les touristes qu'on promène.
Pierre ne répond pas et se range à l'avis d'Antoine. Ils se lèvent finalement et prennent le
chemin de leur voilier. Anita semble vouloir leur dire quelque chose, puis se ravise et leur lance un
« Adios » des plus lugubres. Ils arrivent sur le voilier, Pierre enjambe la rambarde et s'arrête.
— Tu entends ? questionne-t-il son compagnon.
— Yalisa a du revenir.
Ils s'engagent sur le pont quand ils voient surgir de la cabine un policier, vêtu d'un uniforme
rutilant, une arme à la main. Derrière lui, le commandant des forces locales, le gardien du port, la tête baissée, et un douanier au visage fermé. Interloqués, ils s'arrêtent tant de surprise que face à la menace de l'homme armé.
— Bonjour, Commandant. Que se passe-t-il ? Vous êtes à la recherche de quelqu'un ? Un vol ?
L'homme ne répond pas et se contente de leur faire signe d'avancer et de s'asseoir sur un des bancs de la cabine où il les force à pénétrer. Pierre fait signe à Antoine d'obéir sans résister. Il sait que les policiers ont un usage facile de leur arme dans le coin. Ils attendent une explication qui tarde à venir, les hommes continuant à fouiller. Enfin, fouiller est un grand mot. Ils mettent tout en l'air, balançant dans tous les coins tout ce qu'ils sortent des placards et coffres, vêtements, cartes marines, livres, provisions, vaisselle. Cela semble sérieux. Ils ne recherchent pas un éventuel cambrioleur et semblent déterminer à poursuivre. Pierre et Antoine préfèrent ne rien dire. Le commandant s'adresse à eux brutalement.
— La clé de la cale, tout de suite.
Les deux marins la lui donnent. Ils en gardent toujours un exemplaire chacun autour du cou. Pierre donne la sienne et Antoine ne dit rien. Un des hommes ouvre la cale et pousse un cri :
— Aqui todo esta ! (Tout est là ! Nous continuerons le reste en français... pour plus de facilité!)
— Je le savais bien. Je m'en doutais dès le début. Je vous trouvais trop polis pour être honnêtes, continue le commandant en s'adressant aux deux français qui sont ébahis et ne comprennent sincèrement rien. Ils n'ont rien planqué dans la cale, il n'ont reçu aucun bagage à transporter et n'ont pas de voyageurs à bord.
— De quoi parlez-vous ? répond Pierre. Il n'y a que de vieux cordages et des bidons de carburant.
— Et ça ? C'est quoi ? Une vieille corde ? hurle l'officier en exhibant, tel un trophée, un sac emballé dans du papier marron recouvert d'un film plastique, comme ils les connaissent bien.
Les deux marins se regardent, sincèrement étonnés. Qui a mis ces sacs dans la cale de leur bateau ? Normalement, c'est entendu ainsi, ce sont eux qui se chargent de vérifier le remplissage de la cale. Qui l'a fait ? Quand ? Et comment, puisque eux seuls détiennent les clés ? Ils se doutent que les problèmes ne font que commencer. Ils vont peut-être enfin savoir ce qu'ils transportent à chacun de leurs voyages ! À force de fermer les yeux, c'était attendu. Bon, il n'y a pas à désespérer. En tant que skippers, ils n'ont pas à fouiller les bagages de leurs passagers. Oui, mais là, il n'y a pas de passagers à bord. Ils étaient prévus mais ne sont pas encore arrivés. Les deux français ont un mail de International Sea Transport qui leur annonce l'arrivée de touristes, mais sans préciser le nombre et la date. Et puis, il y a ses satanés paquets. Il va falloir prévenir le gouverneur qui leur a remis ses coordonnées, ce qui fera peut-être réfléchir ce bouillant officier. C'est l'argument que tente de faire valoir Antoine en brandissant la carte du gouverneur et en expliquant qu'il veut l'appeler. Il les connaît et peut garantir de leur bonne foi...enfin s'il veut bien ! L'officier jette un vague coup d'oeil sur le document qu'Antoine lui présente, hausse les épaules et le jette à terre. Bon, c'est mal parti. Il ne leur reste plus qu'à attendre. Les policiers et douaniers entreprennent de sortir les sacs de la cale. Cela semble ne plus finir, il y en a bien plus que d'habitude, se disent les deux hommes.
— Vous savez pour combien il y en a ? éructe le commandant en les menaçant du doigt.
Inutile de lui répondre qu'ils ignorent ce qu'il y a dans les sacs, il ne les croirait pas. Les deux hommes ne pipent mot, préférant éviter la montée de la pression qui semble envahir l'officier au fur et à mesure que sont extraits les paquets de la cale.
— Des millions de dollars, oui des millions de dollars ou d'euros, comme vous voulez.
Pierre et Antoine sont de plus en plus inquiets. Ce ne sont pas des cigarettes, comme ils aimaient à le croire qu'ils transportent. C'est de la fausse monnaie ou ... Non, ils ne sont pas des
narcotrafiquants, mais simplement des marins qui transportent des touristes et leurs bagages, pas plus. La loi de la mer leur interdit de fouiller les affaires de leurs clients. Cette fois, il n'y a pas de voyageurs, juste leurs bagages, enfin ce qui ressemble à leurs sacs habituels, qu'ils ont plusieurs fois transportés. Cela risque de devenir ennuyeux.
Armé d'un couteau qu'il a sorti de sa poche l'officier en donne un grand coup dans un sac d'où s'échappe une pluie de poudre blanche. Oula, ils sont mal partis.
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— Alors, vous savez ce que c'est ? demande le commandant en versant la fine poudre sur la table devant les deux marins sidérés. Je vous surveille depuis quelque temps ! Vous en avez fait des voyages avec ou sans touristes.
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— Non, nous avons toujours transporté des clients qui voulaient se rendre en Europe. Ce sont leurs bagages que vous avez sortis de la cale. Nos passagers ont toujours leurs papiers en règle, passeports, visas, vaccins.
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— Vaccins ? Vous vous foutez de moi ? Où sont-ils, vos touristes parfaits ? Vous les cachez car je n'en vois pas sur ce bateau. Je ne vois que vous et des centaines de kilos de cocaïne.
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— Je ne comprends pas, rétorqua Pierre. Notre employeur, que vous devez connaître, International Sea Transport, nous a avertis que nous devons récupérer des clients aujourd'hui ou demain pour une traversée. J'ai le message le confirmant si vous voulez le voir.
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— Et je suppose que ce sont leurs bagages qui les ont précédés ? Arrêtez de vous moquer de moi. Vous, Européens, nous prenez souvent pour des imbéciles.
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— Pas du tout. Nous ne faisons que du transport touristique. Cela fait plus de trois ans que nous travaillons à Sainte Poésie. Nous y sommes résidents. Demandez donc au gouverneur.
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— Le gouverneur ? Bonne idée ! Vous allez le rejoindre à l'ombre du cachot où il se trouve depuis hier. Il a commencé à parler. Vous pourrez compléter ses aveux, fort intéressants.
La surprise passée, Antoine fut le premier à se ressaisir.
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— Voulez-vous dire que vous allez nous arrêter ?
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— Oui, comment appelle-t-on cela chez vous ? Garde à vue, voilà. Je vous mets en garde à
vue pour narcotrafic. Immédiatement.
D'un geste autoritaire, il demande à un de ses hommes de passer les menottes aux deuxhommes qui, sans ménagement, sont extraits de la cabine du voilier, traînés sur le quai et en route vers la Fortaleza qui sert de prison à Sainte Poésie. Une bâtisse historique dont Antoine et Pierre n'apprécient pas vraiment en ce moment l'aspect de monument historique. Anita et quelques clients se sont groupés à quelques mètres du quai, silencieux et n'osant s'approcher. On craint la police à Sainte Poésie. Antoine aperçoit Yalisa qui arrive, un panier à la main. Il lui fait discrètement signe de ne pas s'approcher. Elle le regarde presque peureusement de loin.
Arrivés dans la prison, les deux hommes sont brutalement délestés de leurs montres, chaussures, porte-monnaies, papiers d'identité et de l'argent qu'ils possèdent. Quand le policier de garde leur ôte leurs téléphones dont il admire les modèles récents et puissants, Pierre proteste bruyamment.
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— Vous devez nous donner un reçu de tout ce que vous prenez.
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— Nous prenez-vous pour des voleurs ? Il est certain qu'à force de fréquenter des truands,
vous imaginez le monde à leur image. Je vais vous faire un reçu de tout ce que vous
déposez.
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— Nous voulons téléphoner à notre ambassade, poursuit Pierre.
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— « Vous voulez » ? Mais vous n'avez rien à exiger, cher monsieur. Vous êtes passibles de
très longues peines, précédées d'interrogatoires pour nous décliner vos méthodes et vos complices. Pour ce genre de délits, notre loi prévoit trois jours d'interrogatoire avant la consultation d'un avocat que nous allons évidemment vous fournir. Je suis très légaliste, vous vous en rendrez compte !
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— Nous sommes étrangers et les lois internationales nous accordent le droit d'avertir et d'être protégés par nos représentants diplomatiques. Si vous êtes féru de lois, vous le savez.
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— Bien sûr que je le sais. Je sais également que le trafic de drogue est puni dans tous les pays et par toutes les lois.
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— Nous ne sommes pas des trafiquants, mais des marins dont on a abusé de la crédulité.
Le commandant éclate d'un rire tonitruant qui se répercute dans toute la vieille forteresse. Il se tape les cuisses et semble réellement hilare face à la réponse de Pierre.
— Votre crédulité ? Vous plaisantez, je suppose. Je n'aime pas qu'on se moque de moi. C'est moi que vous prenez pour un clown naïf en essayant de me faire croire en votre innocence. De simples marins qui baladent des touristes dans l'Atlantique ! Avec de très jeunes filles, également. Voulez-vous que je rajoute le trafic d'enfants à vos charges d'accusation ? Vous promenez de plus ou moins vieux messieurs accompagnés des fillettes à peine pubères, avec des montagnes de sacs soigneusement emballés et vous ne savez rien, ni de vos passagers, ni de leurs précieux bagages. Ce n'est pas de la naïveté, c'est de la bêtise, je dirais même de la connerie pure et dure. Arrêtez enfin de me mettre dans une telle colère que je ne saurai me contenir, ni empêcher les questions violentes de mes subordonnés qui ont parfois une certaine tendance brutale dans leurs interrogatoires. Ils ont été bien formés, par vos propres forces de police et celles des États-Unis. D'ailleurs, j'ai eu du mal à les arrêter avec le gouverneur contre qui ils se sont un peu fâchés. Une espèce de vengeance de classe vis à vis d'un homme qui les a souvent traités avec une condescendance méprisante. Vous allez vous en rendre compte par vous mêmes, vous logez dans la même cellule. Désolé de la promiscuité, mais nous sommes un pays pauvre, avec certes parfois des dirigeants riches, mais une population souvent miséreuse. Vous savez, Yalisa vous remercie pour les dollars que vous lui avez généreusement donnés, ajoute-t-il en regardant Antoine, sa famille va pouvoir manger quelque jours !
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