Ils sont loin du paradis tropical!
Les prisons sont dures, la torture est fréquente, les conditions intenables, la corruption est la norme !
Nos vieux skippers souffrent: c'est l'envers du décor !!
Les mésaventures se poursuivent ... en eaux troubles .
Ils sont de Sainte Poésie la douce et accueillante île...
7
Les deux hommes sont ramenés par Luis dans leur cachot. Les deux pseudos-avocats les saluent et, de sa voix douce surprenante, avant de partir, Sylvana leur rappelle de bien réfléchir.
— Les prisons poésiennes sont très dures, leur martèle-t-elle. Vous n'en avez qu'un petit aperçu. Ce qui vous attend est bien pire.
Ils rejoignent leur coin de cachot. Le gouverneur n'est plus là. Seul son secrétaire les accueille. Il leur explique que sa famille est venue chercher son patron qui , affirme-t-il, souffre de maladies chroniques incompatibles avec son emprisonnement. Face à l'étonnement des deux français, il explique sur ordre du gouverneur ce qui les attend .
— Il vous rappelle qu'il ne vous connaît guère, mais qu'il n'hésitera pas à vous aider au besoin. Il peut vous fournir un avocat, pas un guignol comme celui que vous venez de voir, mais un vrai , qui a fait ses études avec lui et qui est un lointain cousin. On peut négocier avec le tribunal. Bien que lui-même n'ait aucun rapport avec votre trafic, et cela il peut le prouver, vous lui êtes sympathiques et, malgré l'énormité des délits dont on vous accuse, il vous propose son appui. Vous allez être interrogés ce soir, il le sait, il a ses renseignements. En fait, le commandant va essayer de l'impliquer dans vos trafics. De vous à moi, le gouverneur pense que le commandant est à l'origine de ce trafic et qu'il veut le faire tomber, par jalousie.
Pierre et Antoine se regardent. Leur affaire se complique salement. Okay, ils ont participé à un trafic, ils n'ont pas voulu en connaître la réalité, ils sont coupables et responsables, ils savent qu'ils vont devoir payer pour leur faute. Mais la situation s'assombrit de façon effrayante. Ils sont impliqués dans une histoire de rivalités locales qui les dépassent. Qui croire ? Les avocats qu'ils viennent de voir ? Le gouverneur qu'ils connaissent vaguement et qui a toujours été très affable ? Le commandant qui leur a présenté leur situation de façon très explicite, mais dont les buts dépassent les deux français ? Ils n'ont guère confiance ni en les uns ni en les autres. Avouer, nier, dialoguer ? Avec qui ?
Le secrétaire se lève et les salue avec une grande courtoisie. Une situation surréaliste !
— Bien, je vais vous laisser. Le gouverneur m'attend, il a besoin de moi . Ces derniers jours
ont été éprouvants pour lui, et pour moi aussi, ajoute-t-il. Prenez le temps de réfléchir à sa proposition d'aide, sincère, croyez-le. Il aime bien l'Europe, la France en particulier. Il y possède une petite résidence dans le sud, dans un petit village qui s'appelle Saint Tropi, je crois. Vous connaissez ?
Machinalement, Antoine corrige :
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— Saint Tropez, je pense.
-
— Tout à fait ! Pardonnez mon erreur. Je l'ai accompagné l'an dernier, il connait bien le
maire qui est venu nous chercher à l'aéroport. Un homme charmant.
Antoine et Pierre croient nager en plein délire, cette conversation mondaine au fond d'uneinfâme prison où ils risquent bien de rester quelques années.
— Bon, je vous souhaite bon courage pour votre entretien de cet après-midi. Vous pourrez
adresser vos demandes à Luis, il est prévenu. Fidèle au gouverneur, et brave homme au
fond, il vous aidera dans la mesure de ses moyens, soyez-en sûr.
Sur ces bonnes paroles, il se dirige vers la lourde porte de la geôle qui s'ouvre avant
même qu'il ne se manifeste.
Antoine se laisse tomber sur le sol dur et regarde Pierre qui reste debout, à réfléchir.
— Que fait-on ? finit par demander Antoine. Inutile de continuer à se lamenter sur sur notre
inconscience et à nous fustiger. Considérons la situation telle qu'elle est. Arrêtés, emprisonnés dans une geôle cauchemardesque, à dix mille kilomètres de chez nous, avec comme seules aides potentielles, une avocate véreuse et pas vraiment compétente, mais qui connait le pays, un gouverneur vendu et corrompu qui pourrait nous aider éventuellement, mais il faut savoir comment et pourquoi, car ce n'est pas par sympathie, et un commandant qui est surnommé l'incorruptible, le tout au milieu de jalousies et histoires locales qui nous échappent.
Pierre soupire et murmure :
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— Je donnerai n'importe quoi pour une cigarette et une bière fraîche.
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— Ça, on peut peut-être l'obtenir, mais cela ne résoudrait pas notre problème. Bref, en un
mot, on est dans une sacrée merde ! Je crains l'interrogatoire quand je vois dans quel état
ils ont mis le gouverneur. Et ils ont du faire attention !
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— Ouais, attention à le laisser vivant. Pour le reste, il a dégusté. Je pense qu'ils seront peut-
être plus attentifs avec nous. Nous sommes des étrangers.
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— Des étrangers, peut-être, mais des narcos.
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— On ne peut qu'espérer que le consul, honoraire ou pas, a averti nos familles. Si la presse
étrangère s'en mêle, ils feront gaffe à ne pas trop nous abimer.
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— On doit donc compter sur cet escogriffe peu avenant.
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— Espérons. Et nos familles .
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— Je pense qu'Isabelle et Clara vont remuer ciel et terre pour nous sortir de là.
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— Toi, peut-être, moi, je ne compte pas trop sur mes ex et mes enfants. Nos rapports sont
un tantinet conflictuels. Sauf, peut-être le fait de se dire que je ne pourrai plus payer si je
reste en prison à Sainte Poésie.
Comme tous les jours, Luis leur apporte leur repas dont la qualité laisse de plus en plus àdésirer, si l'on excepte les jus de fruits, peut-être un peu trop sucrés, dont le gardien leur précise qu'ils sont un cadeau de Yalisa. La jeune femme est soit très gentille , soit espère leur sortie et une récompense. Dans cette atmosphère et face à cette société si contrastée et si vénale, ils ne savent plus que penser ni sur qui compter réellement. Leur déjeuner est à peine expédié que Luis, accompagné de deux militaires, plus semblables à des gardes du corps, vient les chercher. C'est sans ménagement qu'ils les font se lever, sortir de leur geôle et parcourir de longs couloirs sombres et humides avant de les pousser dans un bureau sommairement meublé de deux chaises, d'une table vétuste et d'un drôle de fauteuil. Par une porte latérale qu'ils n'avaient pas vue, un homme entre. Ils reconnaissent le commandant. Vêtu d'un jogging noir, un stick à la main, il se contente de leur faire signe de prendre place sur les chaises, alors que lui reste debout . Un lourd silence s'installe qui met les deux hommes mal à l'aise, même s'ils se doutent que c'est le but recherché. Seul le bruit poussif du ventilateur brise l'éternité du silence.Sur un mouvement du stick de l'homme, l'un des soldats arrête le ventilateur. La chaleur humide s'abat sur les deux français qui suent à grosses gouttes. Ils savent que cela fait partie de la mise en scène, ils en souffrent cependant et s'agitent sur leurs chaises. D'un geste brusque, l'homme leur fait signe de ne pas bouger et ses deux sous-fifres se chargent de les immobiliser. De la poche de son pantalon, l'homme sort une bouteille d'eau qu'il porte goulument à sa bouche, faisant claquer sa langue de plaisir après en avoir avalé la moitié. En souriant, il la montre aux deux français maintenus sur leurs chaises. Ils ne peuvent empêcher leur langue de passer sur leurs lèvres desséchées. Dans un français quasi-parfait, avec une toute petite pointe d'accent hispanique :
— Il fait chaud, même pour moi qui suis habitué. Comme on dit chez vous, il fait soif ! Il ne tient qu'à vous de vous abreuver de cette eau fraîche.
Les deux hommes le regardent.
— Donnez moi le nom du donneur d'ordre ! Non pas, International Sea Transport. Ceci
n'est qu'une façade que nous connaissons et suivons depuis longtemps. Non, le vrai, le local qui est à la croisée de tous ces trafics. Son nom, pas plus, et nous effaçons votre ardoise. Vous repartez chez vous avec le premier avion et conservez tout ce que vous avez si mal acquis. Vous ne laissez que votre voilier qui ne vous a pas coûté bien cher. Votre trafic fut une grossière erreur de votre part que nous oublierons. Nous vous tirons des pattes de vos pseudo avocats, des filets du gouverneur qui attend la première occasion pour vous jeter dans l'eau avec quelques pierres attachés autour du cou et nous évitons la très mauvaise publicité qui risque d'entacher votre réputation. Un nom, c'est tout.
Les deux marins se regardent : qui croire ? Ils sont face à deux hommes puissants, loin de
chez eux, coupables de trafics de drogue qu'il sera facile de démontrer. Quel homme peuvent-ils bien dénoncer puisque leur seul contact s'est fait avec la société de transport ? Parler, c'est reconnaître leur culpabilité pour un délit tant poursuivi à Sainte Poésie qu'en France. Nier,c'est espérer une aide éventuelle de leur pays et de leurs familles. Deux anciens officiers de la Marine, deux soldats aux états de service irréprochables. Ils peuvent toujours avancer le fait qu'ils ignoraient ce qu'ils transportaient, que les bagages, que le droit marin ne leur permet pas de fouiller, étaient déposés par les voyageurs et leurs chauffeurs. Leur seule infraction : l'âge des jeunes filles qui accompagnaient les touristes. Un délit qui ne sera pas retenu et vite écarté, même par les pitres qui leur servent d'avocats. Ils essaieront d'en trouver de plus efficaces en France. D'un commun accord, presque par télépathie, surtout par habitude de travailler ensemble, ils décident de se taire.
Pierre entame la réponse :
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— Nous ne voyons pas de quel homme vous parlez. Nous sommes affréteurs pour la
compagnie International SeaTransport avec qui nous correspondons par courrier électronique. Nous avons rencontré deux de leurs représentants à Paris. La première fois, pour signer un contrat de travail en règle avec le droit français qui nous nommait comme transporteurs des clients qu'ils nous proposaient, avec leurs bagages et leurs invités et la deuxième fois, toujours à Paris, pour nous céder le voilier sur lequel nous travaillons.
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— Vous n'avez pas été étonnés d'un tel cadeau, car je suppose que vous connaissez le prix d'un tel bateau.
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— Nous avons, sous seing privé auprès d'un notaire, émis une reconnaissance de dette qui s'annulerait au bout d'un certain nombre de voyages puisque nous assurions l'entretien du bateau, ainsi que ses frais de gardiennage et de port.
L'homme éclata d'un rire sardonique :
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— Vous vous foutez de moi ? Ici, à Sainte Poésie, vous payez des frais de port et
d'entretien ?
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— Oui, bien sûr.
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— Cent dollars par an ?
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— Certes moins cher qu'en France, mais nous payons ce qui nous est demandé.
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— Savez-vous à qui appartient ce port ?
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— Non, à l'état ?
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— À l'état ? Mais ici, l'état , c'est le gouverneur !
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— Mais nous avons des reçus, pour le gardiennage, les réparations, le nettoyage, le
carburant !
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— Qui vous fait ces reçus ?
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— Le gardien.
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— Vous le payez en liquide ? Cela ne vous surprend pas, des sommes aussi minimes, des
reçus faits sur des carnets qu'on achète à l'épicerie du coin, un gardien qui sait à peine écrire qui fait l'entretien d'un voilier aussi coûteux ! Vous êtes bien naïfs, bien confiants... ou vous me prenez pour un imbécile ! Et cela me déplaît. Vous vous enfoncez. Vous allez bientôt me parler du droit maritime qui vous empêche de fouiller dans les bagages de vos voyageurs ?
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— En effet, nous vérifions juste les passeports de nos clients et leurs visas s'il en faut pour le pays où nous nous rendons.
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— Et les jeunes passagères ?
Pierre et Antoine baissent la tête. Ils ne se sentent pas très à l'aise à cet égard et préfèrent ne pas répondre. Ils ont chaud, ils ont soif et ressentent une violente envie d'uriner.
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— Vous persistez dans votre refus de coopérer ?
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— Nous ne pouvons pas vous dire ce que nous ne connaissons pas, renchérit Antoine. Nous
pensons avoir droit à une défense juste...
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— Vos clowns ? Je les connais. Je pense que c'est le consul qui vous les a envoyés. Ils
partagent leurs honoraires avec lui. Le gouverneur ne vous a-t-il pas proposé son cousin ?
Un meilleur avocat certes, mais un fieffé gredin qui est dans tous les trafics de son cousin. C'est un job familial. Vous appelez ça comment en Europe ? La Mafia, n'est-ce pas ? Vous voilà donc embringués dans une affaire mafieuse, Messieurs. Je ne vais pas vous détailler leur façon de procéder. Vous êtes des pions tout à fait étrangers qu'ils ne vont absolument pas aider. Ils vous ont utilisés, vous vous êtes faits prendre, ils vont en trouver d'autres sans problème. Vous êtes déjà hors circuit, je dirais même des poids morts dont ils n'hésiteront pas à se débarrasser. Et dans cette prison, c'est facile. Pour quelques barrettes de shit, quelques grammes de cocaïne ou quelques dollars, certains tueraient père et mère. Alors des gringos ! Vous pensez bien qu'ils ne vont pas avoir l'ombre d'une hésitation.
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— Vous nous menacez ? intervient Pierre.
-
— Vous menacer ? Avez-vous entendu une menace de ma part ? Juste des conseils .
Jusqu'à présent, vous n'avez fait l'objet d'aucun interrogatoire assorti de contraintes psychologiques ou physiques. Juste une discussion entre hommes de bon aloi. Méfiez-vous, cela risque de ne pas durer. Mes collaborateurs s'impatientent et commencent à s'interroger sur la raison de leur présence, d'autant plus qu'ils ne comprennent pas le français et ne peuvent suivre notre conversation. Je pense, devant votre mauvaise volonté, me trouver dans l'obligation de leur demander d'intervenir, oh ! en douceur, ne vous inquiétez pas . Toujours rien à dire ? Par qui commençons- nous ? Mais auparavant, je vais vous laisser sous leur garde. Veuillez m'excuser, je vais me soulager d'un besoin tout naturel.
Avant de sortir, il donne quelques ordres brefs aux deux sbires qui s'emparent sans ménagement de Pierre et l'installent sur le fauteuil, le sanglant solidement afin qu'il ne puisse plus bouger. Il tente de se débattre sans succès, tandis que Antoine éructe en gesticulant, très rapidement mis à terre par l'un des militaires qui l'immobilise au sol brutalement.
Leur chef revient, un sourire aux lèvres.
— Il n'y a pas à dire, on se sent mieux.
Il prend alors sous la vieille table un jerrican qu'il ouvre avec lenteur et s'approche de Pierrecoincé sur son inconfortable fauteuil.
— Mes formateurs, des militaires français, m'ont enseigné beaucoup de choses. Ils m'ontexpliqué que la première chose à faire pour obtenir des aveux est de mettre la personne
interrogée dans une situation humiliante.Quoi de plus humiliant que de se faire dessus ? Il verse alors sur la main de Pierre, immobilisé par une sangle, un peu d'eau en imitant le bruit de l'eau qui coule, comme on le fait pour les enfants .
— Psitt, psitt ! l'eau coule, bien fraîche, sur la main et donne une irrésistible envie de se
lâcher... Combien de temps allez-vous tenir avant de mouiller votre pantalon ? Une, deux minutes, rarement plus, c'est long soixante secondes quand on a envie d'uriner depuis de longues heures, car je vous ai observé vous trémousser pendant notre conversation.
Pierre eut beau fermer les yeux, faire appel à toute sa volonté. Sa vessie est prête à éclater et finit par se vider dans son caleçon, mouillant son bermuda, l'urine s'écoulant du fauteuil en une flaque sur le sol sur lequel il fait une tache sombre qui l'humilie et qui fait bien rire les militaires.
— Une première chose de faite ! Pas bien méchant, n'est-ce pas ?
Que vont-ils inventer d'autres ? Pour l'instant, ils le laissent mariner dans son urine.
Ils commencent à s’intéresser à Antoine qu'ils redressent sur ses pieds tout en le maintenant fermement et entreprennent de le déshabiller.
— Leçon numéro deux. Un homme nu est fragilisé ! C'est ce que m'ont dit vos officiers et je l'ai maintes fois expérimenté. Ce sont de vrais pros.
En quelques secondes, Antoine se retrouve nu comme un ver et obligé de s'allonger sur le sol gris sale. Les deux soldats sortent de leurs poches de petits morceaux de fromage qu'ils dispersent autour de lui , puis sur lui et en particulier sur ses parties génitales. Quelques minutes suffisent pour voir débarquer une dizaine de rats qui se précipitent sur les morceaux de fromage
dispersés par terre. D'autres alléchés par l'odeur les suivent dégustant le fromage disséminé sur le corps, se battant, n'hésitant pas à mordre. Quand Antoine sent leurs morsures attaquer son sexe, il hurle et tente de se débattre mais très vite, les deux malabars l'immobilisent et regardent en riant les rats se régaler, n'hésitant pas à emporter un petit morceau de chair avec leur fromage. La peur déclenche le relâchement des sphincters d'Antoine ce qui a au moins le mérite de faire fuir les rats. Les hommes rient de voir ces deux fiers marins qu'ils ont croisés dans le village au bras de ravissantes jeunes femmes croupir dans leurs déjections. Leur chef met fin à leur hilarité et leur ordonne d'asperger de seaux d'eau les deux prisonniers pour les nettoyer. Antoine est inconscient et il faut le secouer pour le réveiller. Leurs bourreaux finissent par les asseoir tant bien que mal sur les deux chaises après les avoir à peu près nettoyés et les habillent de teeshirts à la propreté douteuse et de maillots empruntés dans un coffre qui, dans un coin de la pièce, contient de nombreux vêtements, certainement vestiges de prisonniers précédents. Les deux hommes tiennent difficilement sur leur chaises, victimes de vertiges à la suite des sévices tant psychologiques que physiques endurés.
— La prochaine fois, on changera, les avertit le chef militaire. Avec quelques variantes, cependant.
Il aboie un ordre à ses deux sbires qui se précipitent dehors et reviennent avec de l'eau qu'ils font avaler aux prisonniers qui ne s'arrêtent pas sur la couleur boueuse de la boisson. Ils meurent de soif et ne sont pas en position de s'arrêter à ce détail. On les laisse se reposer une bonne heure avant de les faire repartir pour une nouvelle cellule, pire que la précédente. La promiscuité y est affolante et leur position privilégiée d'amis du gouverneur n'existe plus. Dans l'obscurité, ils sentent des mains qui les touchent, les tâtent, à la recherche d'objets à voler mais aussi essayant de leur proposer des commerces plus intimes.Ils y répondent avec violence, ce qui semble calmer les ardeurs des autres prisonniers. Ils réussissent à s'installer dans un coin plus dégagé et essaient de se reposer, tout d'abord en faisant le vide dans leur tête. Il faut bien une demie-heure pour reprendre leurs esprits. Malgré leurs déboires, ils ont faim. Luis reprendra-t-il son service ? Un long moment se passe avant que la porte du cachot s'ouvre sur un gardien à l'impressionnante moustache qui à l'aide d'une lampe torche puissante fouille l'obscurité et s'arrête sur eux. Il leur donne un sac de plastique blanc dans lequel ils découvrent deux boîtes de polystyrène, des couverts en plastique et deux bouteilles d'eau. En leur donnant leur repas, le geôlier les met en garde contre la violence des autres prisonniers. Ils le savent et s'installent contre le mur et faisant face aux éventuels assaillants qu'ils menacent agressivement d'un couteau qui a été glissé dans leur nourriture. Pas fameux, le repas. L'éternel riz huileux, des haricots rouges baignant dans une sauce rosâtre et quelques os charnus qu'ils s'appliquent consciencieusement à sucer. Pas de fruits frais cette fois de la part de Yalisa. S'est-elle lassée ou lui a-t-on interdit ? Tout simplement, elle n'a peut-être plus d'argent. Leur repas terminé, ils gardent précieusement leur bouteille d'eau alors que plusieurs hommes se jettent sur les restes de repas qu'ils ont déposés sur le sol. Ils laissent faire les prisonniers affamés.Quelle pitié et quelle misère dans ce réduit !
8
La chaleur est épouvantable dans le cachot. Ajoutée à l'odeur nauséabonde, c'est une approche de l'enfer. Pas de fenêtre qui permette de se situer dans le temps qui s'écoule en paraissant ne jamais finir. Pierre et Antoine ont décidé de dormir à tour de rôle. Ils connaissent le système de tour de garde, ils l'ont pratiqué des années durant. Antoine est le plus fatigué des deux et, d'un commun accord, ils décident qu'il dormira le premier, des sommes de trois heures leur permettent de récupérer. Ils savent que la moindre défaillance dans leur vigilance sera utilisée par leurs compagnons de geôle. Ils se sentent plus reposés quand le gardien revient leur apporter un nouveau sac de nourriture. Une soupe épaisse de pois cassés, des pommes de terre, des bananes plantain bouillies et un ananas, ainsi qu'un jus de fruit très sucré. La marque de Yalisa. Ils hésitent à tout manger, mais savent que, s'ils partagent, ils risquent de susciter des bagarres. Antoine voit un tout jeune homme accroupi dans un coin qui les regarde avec de grands yeux apeurés. Il pense à sa fille, à peine plus âgée, et , contre toute prudence, lui fait signe d'approcher. Lentement, l'adolescent qui doit à peine avoir seize ou dix-sept ans, s'approche peureusement. La vie l'a rendu méfiant, il n'a pas l'habitude de la gentillesse gratuite. Une odeur douceâtre de crasse et de sueur le précède. Antoine lui tend une banane plantain que le jeune hésite à prendre. Le français insiste et l'adolescent engloutit le fruit à une vitesse sidérante. Même sort pour la pomme de terre que Pierre lui offre. Un sourire de reconnaissance découvre une dentition noire et incomplète. Le jeune homme s'assoit à côté d'eux avec timidité. Depuis combien de temps n'a-t-il pas mangé ? Les deux français maintiennent éloignés sous la menace de leur couteau quelques prisonniers qui s'approchent, espérant profiter de l'aubaine.
De leur espagnol hésitant, ils engagent la conversation avec le jeune prisonnier. Il dit s'appeler Willie, les locaux aiment donner à leurs enfants des prénoms nord-américains, souvent inspirés d'un quelconque feuilleton. Il prétend avoir dix-huit ans et se trouver là depuis longtemps, ce qui en soi, ne précise pas grand-chose. Le temps paraît long dans un tel endroit. Il ne sait pas pourquoi il est enfermé, sans doute ne veut-il pas trop parler. Il se contente de les remercier pour la nourriture, il n'a pas mangé depuis trois jours. Sa famille n'a pas les moyens de le nourrir, ils sont une flopée de frères et sœurs, une grand-mère, une mère et quelques beaux-pères qui vont et viennent. Personne ne semble vraiment travailler et ils vivent d'expédients, ce qu'on appelle poliment des métiers informels, qui vont de vendeurs de fruits et légumes à la sauvette, aux petits vols à la tire et à la prostitution. On fait ce qu'on peut pour survivre. Il paraît gentil, mais les deux français savent que leur confiance doit être limitée car ces pauvres hères vont vers le plus offrant. Pour l'instant, ils le nourrissent, mais si une possibilité plus intéressante se présente, il n'aura pas une once d'hésitation pour les trahir.
Il leur raconte le système et la hiérarchie existant dans la prison. Ils sont dans la geôle des pires vauriens, les plus dangereux. Donc lui aussi en fait partie, à moins qu'il ne soit placé là pour espionner. Ils apprennent que la majorité des occupants de ce cachot sont des sicarios, liés aux narcotrafiquants, qui ont de nombreux meurtres sur les mains et pour qui la vie ne vaut pas grand- chose, sinon quelques dollars. Il y a dans la Fortaleza des geôles bien plus confortables. Les chefs narcos, souvent de mèche avec de nombreux policiers ou notables, y ont aménagé de véritables appartements où ils reçoivent leurs familles, leurs parents, leurs enfants, leurs femmes tout comme leurs maîtresses. Ils organisent des fiestas avec alcool, poker et invités dont la musique parvient jusque dans leur cachot. Les étrangers sont en général assez bien traités, sauf lorsqu'on veut s'en débarrasser. Il se souvient d'un étranger vivant à Sainte Poésie, mais connaissant trop de choses et qui, drogué bien souvent, devenait dangereux. Sous le prétexte d’une crise de delirium, la police l'a arrêté. Battu tant par les gardiens que par les autres prisonniers, il est mort la nuit de son arrestation. Sa maison a été soigneusement fouillée et il a été enterré le lendemain. Personne n'a protesté , ses quelques biens ont été remis à sa famille qu'on a priée de partir rapidement. Que savait-il ? Sans doute des magouilles avec des personnalités locales.
Parfois, des sicarios ou autres prisonniers sont extraits de leur cachot. Pour certains, ils sont rejetés dans la vie civile, sans souvent connaître le motif exact de leur emprisonnement. Pour
d'autres, on n'en entend plus jamais parler. Si une sœur, une mère ou une épouse vient réclamer, on leur fait vite comprendre qu'il vaut mieux qu'elles se contentent de pleurer sans insister. La peur fait le reste. L'espérance de vie dans ces milieux est limitée. On survit . Avec de la chance, on finit par intégrer la garde rapprochée d'un narco important. Argent facile, femmes, beaux costumes, alcool, fêtes. La belle vie ! Avec beaucoup plus de chance, on réussit à émigrer vers les États-Unis où tout est possible, raconte le jeune Willie, les yeux brillants en évoquant ce rêve.
Sans expliquer la raison de son emprisonnement dans ce cloaque. Il semble, comme tous les autres prisonniers, connaître le pourquoi de leur présence ici. Normalement, ils devraient être dans une prison bien plus confortable et aménagée . S'ils sont dans ce cachot, c'est qu'on veut les faire craquer, précise-t-il. Les deux français ne répondent pas. Avouer, n'est-ce pas s'exposer à une lourde peine ? Ne rien dire les condamne-t-il à errer dans les pires prisons du pays ? Ces foutus avocats ne sont même pas capables de les conseiller ! Quant au soit-disant consul honoraire, il préserve avant tout sa peau et sa situation privilégiée qu'il ne tient pas à soumettre à un examen trop approfondi.
La porte s'ouvre une nouvelle foi sur Luis qu'ils sont presque heureux de revoir. Il les appelle d'un signe impératif de la main. Ils foncent sur lui sans attendre, qui les fait sortir en refermant bruyamment la porte. Ils le suivent sans qu'il ne prononce un mot et après avoir parcouru des centaines de mètres de couloir gris sale qui empestent le désinfectant et le chlore, il ouvre la porte d'une pièce où il les fait pénétrer. Petite salle vide, sans siège, avec une fenêtre grillagée qui laisse entrevoir un ciel bleu idyllique. Mais le temps n'est pas à louer la météo. Ils attendent un long moment, impossible à quantifier. Fatigués, ils se laissent tomber sur le sol de ciment et s'appuient contre le mur.
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— Sans doute, une façon de mettre encore nos nerf à rude épreuve, affirme Pierre.
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— Certainement. Peut-être même est-on écouté, ajoute Antoine en lui montrant une petite
grille dans un coin de leur nouvelle prison.
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— Qui va nous visiter, maintenant ? Heureusement que nous avons pris nos bouteilles
d'eau, car il fait chaud, sans ventilateur ni autre aération que cette lucarne.
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— Économisons-la. Finalement, profitons de cette pause hors de l'enfer puant d'où nous
sortons pour respirer.
Leur attente va durer jusqu'à ce que la nuit tombe. Ils s'endorment presque, mais toujours surleurs gardes, quand la porte s'ouvre doucement, presque prudemment. Un homme, vêtu d'un costume gris bien coupé, avec une chemise jaune claire et une cravate mauve, un peu desserrée, des chaussures de cuir, entre avec un grand sourire. Ils se lèvent rapidement, méfiants. Il se dirige vers eux, la main tendue, les saluant dans un français très recherché.
— Pardonnez-moi de vous avoir fait attendre. Mais vous connaissez l'administration et la pléthore de documents exigés. Comment allez-vous ?
Il se moque d'eux ? Comment ils vont ? Mais très bien, après quelques jours en compagnie des pires truands et leurs interrogatoires humiliants. Ne va-t-il pas leur parler bientôt de la Convention de Genève ou d'Amnesty International dont il pourrait bien être le représentant ? Pierre est le premier à réagir avec le même ton d'homme du monde :
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— À qui avons-nous l'honneur, cher Monsieur ?
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— Je suis en dessous de tout. Veuillez me pardonner ! Je ne me suis pas présenté. Je suis
Hector Villa.
Devant l'air ahuri des deux français, il continue :
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— Mon cousin ne vous a pas parlé de moi ? Le cousin de Isidro, le gouverneur, qui a
partagé votre triste sort quelque temps. Je suis votre avocat.
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— Nous n'étions pas au courant. Nous avons déjà eu des avocats qui se sont présentés. Quel
choix !
-
— Ah oui, la grosse Sylvana et son assistant. Ce sont des guignols que même la justice ne
prend pas au sérieux. En fait, ils servent de traducteurs pour la cour. C'est votre consul honoraire qui vous les a envoyés. Ils se partagent les honoraires, salés, si je puis me permettre.
— Nous n'avons pas encore eu leurs notes de frais, juste une entrevue.
— Isidro vous a parlé de moi, je suppose ? — En effet, il nous a signalé votre existence. Ignorant l'ironie, il sourit.
Je suis un vrai avocat, avec un réseau de connaissances qui pourraient vous aider. Avez-
vous été interrogés ?
On peut dire ça comme ça.
Maltraités ? Battus ? Torturés ?
Maltraitances psychologiques, va-t-on dire.
Avez-vous avoué ?
Avouer quoi ?
Enfin, Messieurs, nous sommes entre gentlemen et je suis votre avocat. Vous vous êtes
livrés à ce que nous appellerons quelques malversations, quelques accrocs à la loi. Pas
très graves, je vous l'accorde. Mais nous sommes un pays de droit.
Il a
Pierre continue la conversation, pour voir jusqu'où il veut aller.
— Quels judicieux et précieux conseils nous donnez-vous ?
L'avocat fait mine de réfléchir, alors qu'il connait pertinemment la raison de son
intervention.
— Isidro vous a en haute estime. Il pense que vous vous êtes faits berner, tout comme lui.
Ah, nous y voilà ! Indiquer le gouverneur comme une pauvre victime de la vengeance d'un
ennemi et concurrent, d'une méchante entreprise étrangère qui a profité de leur naïveté commune et surtout ne pas l'incriminer. Ce brave gouverneur s'est contenté de les recevoir, appréciant cette activité touristique proposée par les deux marins, deux officiers retraités au-dessus de tout soupçon, qui ne pouvaient que profiter à l'image rassurante de Sainte Poésie. Ni les uns ni les autres n'étaient au courant de rien. Il y avait bien quelques jeunes femmes qui accompagnaient parfois les voyageurs, mais quoi de plus normal pour une traversée de plusieurs jours. Après tout, ce n'était pas à eux de vérifier la fidélité conjugale de leurs invités, pas plus d'ailleurs que la nature de leurs bagages .
Voilà donc le conseil de l'avocat, cousin du gouverneur. Persister dans leur naïveté, prétendre avoir servi de skippers à de riches clients accompagnés de jeunes femmes. Ne pas dévier d'un iota de cette version. Le gouverneur, ils ne le connaissent que lors de mondanités. Les formalités de police et de douane ont toujours été faites. S'ils ont égaré certains documents, l'administration leur donnera des duplicatas prouvant leur bonne foi. Les bagages, toujours mis en place par des porteurs, ils se contentaient d'en indiquer l'emplacement pour l'équilibre du bateau car ce sont des marins sérieux et professionnels. Les derniers bagages ont été introduits pendant leur absence, ils peuvent prouver qu'ils déjeunaient chez Anita. Plusieurs clients en témoigneront. Le voilier leur a été cédé par un prêt en leasing consenti par International Sea Transport, on en trouvera toujours les documents adéquats auprès d'une banque locale.
— Quel est le prix à payer pour ce superbe scénario ? le coupe Pierre.
D'un air offusqué, l'avocat répond que c'est la réalité. Ils ont, comme le gouverneur, été victimes de leur crédulité, voire de leur gentillesse. Dans sa proposition, il n'y a que quelques petits arrangements avec la réalité, pas vraiment illégaux (le « pas vraiment » plaît beaucoup aux deux français!). Dans son ensemble, le récit est véridique . Face à l'air incrédule et ironique de ses deux supposés clients, l'avocat commence à perdre son vernis policé.
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— Que proposez-vous ? Croyez-vous que le commandant et le tribunal vont avaler vos versions de marins innocents et piégés ?
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— Surtout avec la complicité du gouverneur qui, décemment, de par sa fonction, ne pouvait pas ignorer tous ces transports !
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— Vous voulez être condamnés comme de vulgaires narcotrafiquants ? Vous avez eu un aperçu des prisons locales ? Et vous n'avez pas encore été réellement interrogés ! Quinze ans, vingt ans, voilà ce qui vous attend.
En plus le sens de l'humour .
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— En entraînant votre cousin avec nous ?
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— Ne le mésestimez pas. Il a des relations, il est riche. Certes, il y laissera des plumes,
comme vous le dites en français, mais il se redressera, mieux que vous. Sa réputation en prendra un sacré coup et il devra certainement s'exiler, mais il a des biens et des avoirs à l'étranger. Les élections et les pouvoirs changent de main comme partout. Il s'en sortira .
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— Pourquoi nous propose-t-il son aide ? Ne me faites pas la scène de la complaisance à notre égard. Quel est son intérêt ? Et cessez vos ronds de jambe alambiqués. Ne nous prenez pas pour plus imbéciles que nous sommes. Expliquez-vous ou repartez.
L'avocat n'a pas l'habitude qu'on lui parle ainsi et encaisse le coup. Il réfléchit, se demandant s'ils font une tentative de forcing ou s'ils parlent sérieusement. Il opte pour la deuxième solution. Ils ne sont pas tombés de la dernière pluie. Évidemment qu'ils se doutaient que les bagages de leurs touristes cachaient des trafics. Ils en ont vu d'autres, ils sont solides et ont dû affronter des situations bien plus dangereuses. Il se racle la gorge comme pour s'éclaircir la voix et se donner du courage.Il est un avocat, pas un combattant. Sa connaissance du danger est limitée. Il aime bien Isidro, mais ne va pas prendre de risques pour lui, d'autant que son cher cousin l'a menacé de divulguer certains de ses secrets, comme son goût pour les très jeunes garçons. Il faut qu'il obtienne un accord de ses satanés étrangers avant qu'ils ne parlent.
— Isidro est visé par les accusations du commandant. Vous êtes des pions pour la façade internationale. On parlera de vous dans le monde parce que vous êtes des français. Cela va devenir une affaire diplomatique.
Les deux hommes le regardent fixement, lui indiquant qu'il n'y a là aucune explication satisfaisante à leurs questions.
L'avocat respire un grand coup, comme s'il apprêtait à se jeter à l'eau.
— Isidro est mêlé à ce trafic.
Les deux hommes ne pipent mot, le laissant s'embarrasser dans ses explications. Il estcertainement lui aussi impliqué dans cette histoire. Son intervention n'est pas gratuite, même par esprit de famille envers son cher cousin. Il hésite encore cependant, espérant une aide de leur part. Rien de plus contraignant que ce silence qui dure quelques secondes. Comprenant qu'il n'obtiendra aucune sollicitude de leur part, il continue.
— Il est très lié à International Sea Transport. En fait, il en est le dirigeant, l'actionnaire et le bénéficiaire principal.
Un sourire ironique aux lèvres, Pierre rajoute :
— Un affaire familiale ? Un holding entre cousins. L'avocat hoche la tête et continue.
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— Nous fournissons du travail aux habitants les plus pauvres...
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— Vous arrêtez de suite vos jérémiades humanitaires. Nous reconnaissons l'avoir fait pour
l'argent, sans chercher à nous poser plus de questions. Vous, vous êtes des narcotrafiquants sous couverture mondaine. Mais combien de gens avez-vous tué ou ordonné de tuer ? Vous êtes des criminels qui empochaient des millions de dollars, en distribuant quelques miettes, des millions qui vous permettent de vivre dans un luxe scandaleux, dans des demeures de rêves, envoyant à la mort des centaines de milliers de gens.
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— Vous n'êtes pas mieux ! Sans transporteur, notre marchandise n'arrive pas en Occident qui est le lieu de consommation principal.
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— Certainement . À la limite, nous pouvons arguer du fait que les transporteurs que nous sommes ne représentent qu'un rouage de la machine. La drogue voyage dans des bateaux, dans des avions, dans des camions, dans le corps des mules...et j'en passe. Quels sont donc vos judicieux conseils pour ne pas impliquer le gouverneur et votre famille ? Car c'est cela le but du jeu, n'est-ce-pas ?
L'avocat paraît comme écrasé, il joue sa dernière chance vis à vis de ces satanés français qui se révèlent plus coriaces que prévu. Il réfléchit rapidement, il sait qu'il n'a pas beaucoup de temps. Il a obtenu cette rencontre en graissant largement la patte de Luis, mais le commandant et ses sbires
ne vont pas tarder à surgir. Il doit faire vite.
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— Tenez-vous en à la version de la naïveté, voire d'une certaine bêtise de votre part. Vous
n'avez pas fouillé les bagages de vos clients en application de la législation internationale. Le gouverneur, vous le connaissez à peine, les autorités ont toujours été au courant de vos voyages et vérifié réellement vos documents de transport. Rien ne vous semblait illégal dans ce travail effectué au vu et au su de tout le monde dans le port. Vous ne vous êtes jamais cachés de vos actions à Sainte Poésie. Rien ne semblait anormal. Vous aviez confiance en International SeaTransport. Votre arrivée dans de petits ports européens vous semblait le caprice des clients fortunés que vous transportiez. Le transbordement des bagages dans des véhicules qui attendaient paraissait normal pour des passagers peu habitués à porter leurs valises. Il y en avait beaucoup, mais il n'y a
pas, dans ces voyages privés, de limite de poids des bagages. Les jeunes femmes semblaient majeures et vous n'aviez pas à vous demander ce qu'elles faisaient en arrivant en Europe. Votre rôle se contentait de transporter de riches touristes à qui vous n'aviez pas à demander de justificatifs puisque leurs documents étaient en règle. -
— Certes, mais vérifiés par les autorités locales au service du gouverneur.
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— C'est la loi.
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— Vous croyez le commandant assez bête pour avaler cette version.
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— Si vous ne dites rien d'autre, il n'aura pas de preuves.
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— La justice trouvera des arguments autrement logiques et convaincants. Comment justifier ces traversées avec des centaines de bagages ? Ce laxisme des autorités portuaires tant au départ qu'à l'arrivée ? Nos salaires mirobolants pour des traversées que des centaines de skippers sont capables d'effectuer ?
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— Mais vous êtes des hommes d'expérience, sérieux. C'est le choix de International Sea Transport qui est venue vous chercher et vous a fait ces propositions.
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— International SeaTransport, c'est le gouverneur, vous, votre famille...
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— Cela, il faudra le démontrer, ce qui n'est pas évident!Les banques des Îles Crocodiles et leurs sièges de société sont très mutiques vis à vis des autorités quelles qu'elles soient.
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— En fait, vous nous proposez de porter le chapeau, en passant soit pour des imbéciles, soit pour des fieffés menteurs et bandits. En échange de quoi ?
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— Vous vous en tenez à cette version, pas si éloignée de la vérité, et nous nous arrangeons avec la justice.
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— C'est à dire ?
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— Une peine allégée que vous accomplirez dans votre pays, très rapidement réduite au port
de bracelets électroniques, et vous gardez votre pécule qu'on pourra éventuellement
majorer.
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— Quelles garanties nous donnez-vous ?
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— Vous pouvez toujours parler si nos conditions ne sont pas remplies.
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— C'est vous qui nous défendrez ?
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— Non, on me connait comme le cousin du gouverneur. Je vais contacter vos deux guignols
d'avocats, nous leur expliquerons notre stratégie. Ils ne peuvent pas refuser, nous sommes trop forts pour eux. Nos paierons leurs honoraires, ne vous inquiétez pas, ainsi que la commission de votre cher consul.
Les deux français se regardent : ont-ils vraiment le choix ? Même si la méthode leur paraît risquée. Ils n'ont jamais eu affaire à la justice, sinon pour un dépassement de vitesse ou une amende de stationnement. L'enjeu est là nettement différent : leur avenir est en jeu. Ils comprennent que la seule solution est d'accepter cette solution incertaine, entre les mains d''incompétents et de corrompus. Ils acceptent d'un hochement de tête, dubitatifs mais coincés.
Avec un grand sourire, l'avocat Hector leur serre chaleureusement la main. Il leur promet de soigner leur séjour, parlant tel un agent touristique.
— Ïe vais vous faire transférer dans une prison plus confortable (comme si ça existait,
encore que dans le monde irrationnel et délirant dans lequel ils sont plongés, ils seraient presque prêts à le croire!). Luis vous apportera des repas appétissants, je me charge d'avertir Anita. Vous aurez du linge de rechange et des sanitaires dignes de ce nom. Voulez-vous que Yalisa vous remette du linge présent dans votre bateau ? Si vous voulez, elle peut rester un peu avec vous, ajoute-t-il avec un sourire entendu.
Antoine sert ses poings dans les poches pour résister à l'envie d'écraser son joli visage rasé de près et bien coiffé. Il les quitte très courtois, laissant derrière lui une effluve de parfum coûteux et certainement français.
Les deux hommes se retrouvent seuls et se regardent, encore stupéfaits de ce qui leur arrive.
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— Je crois que c'est la seule solution envisageable, avance Pierre.
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— En effet . Si cela se passe ainsi, ce ne sera pas cher payé. L'idée de transporter de la coke
t'a-t-elle traversé l'esprit ?
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— Vaguement, je te l'avoue. Mais l'accueil quasi officiel que nous avions en Europe, après
nos départs sans problèmes, munis de toutes sortes de documents remplis de tampons et visas du gouverneur et des autorités, m'a fait enfouir cette idée au fond de mon cerveau. Je me suis dit qu'on transportait des cigarettes ou, peut-être, de l'argent, d'où la protection dont faisaient l'objet les paquets. Et toi ?
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— Très hypocritement, j'ai relégué cette idée au fond de moi, me disant qu'ils ne prendraient pas le risque d'employer deux anciens officiers de l'armée pour un trafic de drogues. Alors qu'en fait, c'était une excellente couverture. Yalisa m'a, un soir où elle avait particulièrement bu, averti . La poudre blanche, m'a-t-elle précisé, fait tourner bien des esprits. Ça rapporte et ici beaucoup savent ne pas risquer grand-chose. Elle en a sorti un sachet de son soutien-gorge et l'a sniffée en m'en proposant, ce que j'ai refusé. Tu as tort, m'a-t-elle dit, c'est bon et cela fait oublier bien des choses désagréables. J'espère que cela ne te portera pas malheur. J'ai mis ça sur son état de saoulerie avancé et le rail qu'elle venait de respirer. On n'en a plus parlé.
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— Elle était au courant, comme tout le monde !
Ils s'écroulèrent sur le sol, appuyés contre le mur, finalement contents de ne pas trop mal s'en sortir et se jurant de se contenter dorénavant de missions plus transparentes.
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