Avant de continuer à vous faire partager
LES MÉSAVENTURES DE NOS DEUX SKIPPERS DANS L'ÎLE DE SAINTE POÉSIE
Un petit extrait d'un de mes derniers romans, pour ne pas oublier le sort des milliers de petits domestiques utilisés comme des esclaves enfants encore de nos jours dans de nombreux pays !
Ne les oubliez pas... N'oubliez pas que ce pourrait être votre enfant !
15
La maison semble nous attendre, un peu comme le château de La Belle au Bois Dormant. Dès que j'ai tourné la clé dans la serrure et ouvert la porte, la maison s'est remise à vivre. Le soleil inonde la terrasse, les bougainvillées bruissent sous le charme du vent, les hibiscus éblouissent de leurs fleurs rouge sang et les rosiers attendent que nous cueillons les fleurs pour parfumer et colorer la maison. Soraya reconnaît-elle la maison ? Elle s'y déplace aisément sans se perdre et retrouve la chambre qu'elle partage avec moi.
Nous déposons nos bagages et rangeons les quelques provisions rapportées de la ville et achetées dans le souk que nous avons visité. Je demande à Armelle s'il est nécessaire d'aller faire quelques courses au petit village proche ou si nous pouvons attendre demain. De concert, nous décidons de profiter de la fin de journée tranquillement. Nous ne mourrons pas de faim ce soir et allons nous promener sur la plage. Soraya danse de plaisir au bord de l'eau. J'ai peur quand je la vois s'avancer dans la mer. Il n'y a plus Paul pour l'accompagner. Armelle me rassure en me signalant qu'elle sait parfaitement nager et le prouve en plongeant dans les vagues sous les cris joyeux et les applaudissements de Soraya qui demande :
— Moi, dans l'eau ! Viens, Jiji.
Peureusement, craignant tant pour elle que pour moi, j'avance doucement dans les vagues qui viennent lécher mes jambes de leur écume blanche. Quand l'eau atteint mes genoux, je n'ose plus m'aventurer vers Armelle qui nous appelle à quelques mètres de là.
— Viens, tu as pied encore sur plusieurs dizaines de mètres.
J'hésite alors que Soraya essaie de me tirer vers le large. Je résiste à sa petite main qui finalement me lâche et, sans aucune appréhension, se dirige vers Armelle. Je crie.
— Soraya, reviens, mon coeur. Non, c'est dangereux.
Inconsciente du danger, elle continue d'avancer vers Armelle qui la récupère vite dans ses bras et la fait plonger, ressortir, jouer avec les vagues.
— Il faut absolument que vous appreniez à nager toutes les deux, décide-t-elle. On ne repart pas tant que vous ne nagez pas comme des poissons. Regardez Jim et Kit.
Les deux chiens barbotent et plongent comme des dauphins !
Assise au bord de l'eau, je scrute Soraya depuis le bord, dubitative et inquiète quand la tête de la petite fille disparait sous l'eau, pour ressortir quelques secondes plus tard, toujours solidement cramponnée à Armelle, éclatant de rire. Elle est heureuse.
Ces vacances sont une pause-bonheur pour nous trois. J'en oublie ma vie quotidienne, mes patrons, Amir, Paul.
Armelle tient sa promesse et nous apprend à nager, beaucoup plus facilement avec Soraya dont l'inconscience de l'enfance ne voit pas de danger là où l'adulte que je suis nous imagine noyées, emportées par le courant, dérivant vers le large.
J'ai réussi à vaincre ma peur de l'eau et j'avoue profiter de ces après-midis aquatiques, paressant sur le sable, nous rafraîchissant dans l'eau de l'Atlantique. Soraya bronze et je la trouve resplendissante. Sa condition physique s'est considérablement améliorée, elle marche, court, nage, joue au ballon. Ses cheveux châtains ont blondi avec le soleil et Armelle me dit un jour en riant qu'elle a le balayage californien des surfeurs qu'on voit parfois s'amuser sur la plage. Beaucoup moins sauvage, ma petite fille va vers les étrangers, elle qui est naturellement si craintive. Elle reste des heures à regarder les bateaux que l'on aperçoit au bout de l'horizon. Elle me demande, et c'est alors que je me rends compte des progrès considérables qu'elle a faits du point de vue langage et réflexion :
— Ils vont où les bateaux ?
J'essaie de lui expliquer les voyages de ces bateaux et de les lui faire différencier.
— Il y a les petites barques de pêche qui nous ramènent du poisson, les voiliers des navigateurs, les grands paquebots de voyageurs et de marchandises. Ils partent des ports de la côte et peuvent aller très loin, suivant leur destination.
Elle reste songeuse et me demande si, un jour, nous aussi, toutes les trois, nous irons dans un grand bateau pour voyager, "Rien qu'Armelle, toi et moi".
Je lui assure que oui, un jour, nous irons faire une grande croisière. Pour satisfaire sa curiosité, nous passons une journée dans le petit port de pêche voisin, où mouillent également quelques voiliers de plaisanciers. Elle regarde avec curiosité ce monde inconnu, ne lâchant pas ma main, ni celle d'Armelle. Nous l'encadrons affectueusement dans son bonheur, tout en sachant qu'il va y avoir une fin à cet intermède enchanteur. Il faut prendre le bonheur quand il se présente et essayer de ne pas le lâcher.
Soraya ne parle pas de ses parents, ni de son frère. Aucun ne semble lui manquer, elle a ses chiens qui ne la quittent guère et la surveillent jalousement, Armelle qui la fait travailler sous forme de jeux et qui obtient des résultats que je qualifie d'extraordinaires, bien meilleurs que ceux que j'ai obtenus. Sans doute, l'aspect affectif est-il démesuré de ma part envers Soraya, alors qu'Armelle certes y est attachée, mais se révèle bien plus objective que moi.
Nous n'avons pas prévu le temps que nous resterions dans la maison de la plage. Monsieur téléphone de temps en temps, demandant des nouvelles, proposant de m'envoyer de l'argent, mais ne me parlant pas de date de retour. Il est si tranquille, seul ! Je me demande s'il osera faire venir sa maîtresse et son fils à la maison. J'en parle à Armelle qui ne le croit pas, à cause des risques de commérages qui seront rapportés à Dalia à son retour. Je proteste.
— Mais c'est très hypocrite ! Tout le monde est au courant de la situation.
— Oui, mais tout le monde fait semblant de ne pas savoir. C'est souvent le cas dans la société. On sait, mais on préfère fermer les yeux. Tu connais le proverbe des trois singes qui définit le bonheur. Ne pas voir, ne pas entendre, ne pas parler ! Comme ça, tu es heureuse !
— Ce sont les petits singes de bois sculpté que tu as chez toi ?
— Tout à fait. Tu les as remarqués ? Crois-moi, ce n'est pas si facile à mettre en oeuvre.
— C'est égoïste !
— Le bonheur est égoïste, voire égocentrique. Tu ne peux être heureuse qu'en ne pensant pas au monde autour de toi. Si tu considères la terre, les hommes et leur malheur, car il y a toujours un malheureux, une injustice, une personne qui souffre, qui pleure, ton bonheur s'envole, pffft…
Elle fait un geste de la main qui part vers le ciel, en claquant des doigts.
Elle a raison. Quand j'étais heureuse avec Paul, je ne voyais ni n'entendais rien, sinon ce qu'il me murmurait. Armelle est surprise de ma nostalgie soudaine.
— Jihane, si tu as besoin de parler, je ne ferai pas comme le petit singe, je t'écouterai. Je te regarde et je vois bien que cette maison remue bien des choses. Je ne t'obligerai pas à suivre mes conseils, mais je peux t'en donner ou t'aider. Tu le sais, j'espère ?
Je me contente de hocher la tête. Je suis trop bouleversée pour parler. Elle le voit et me prend affectueusement par le cou.
— Nous sommes là, ma grande, Soraya et moi, qui t'aimons et avons besoin de toi.
Elle ajoute en riant et en les désignant.
— Comment feraient Jim et Kit sans toi ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire