lundi 28 janvier 2019

SAYNA !

Bonjour à tous,

En cette fin de janvier, plongée dans un hiver européen dont j'avais oublié les rigueurs, mais aussi en ce début d'année nouvelle, je m'engage dans un pari:

Publier tous les dix ou quinze jours (vous voyez, je reste prudente) l'avancée de mon dernier roman que j'ai intitulé

SAYNA 

du nom de son héroïne!

Et oui, je ne perds pas mes habitudes, une héroïne, une femme forte, capable d'affronter l'adversité!
J'ai changé d'époque, je situe mon roman dans l'Espagne de la fin du XVème siècle, dans les dernières années du petit royaume musulman de Grenade. On ne se refait pas...On reste toujours dans ses amours!
Ensuite, à vous de découvrir.
Je ne vais pas vous livrer toute l'histoire, d'autant plus que si la trame du roman est bien définie, il y a toujours des faits, des personnages imprévus qui s'imposent au fur et à mesure du récit. C'est mon système d'écriture...

J'espère tenir le rythme que je veux m'imposer, sachant qu'il s'agit d'un premier jet, que je corrigerai ensuite.
Je compte sur votre tolérance pour en pardonner les erreurs !

Bonne lecture et un agréable voyage dans l'Al Andalus de la fin du XVème siècle (9ème siècle de l'Hégire) qui vous entraînera ensuite bien plus loin...














Sayna




Dominique VIETTI-LETOILLE
CHAPITRE 1


Quel oiseau chantait dans le patio? Le rossignol sauvage dans les buissons de roses écarlates? La tourterelle grise prisonnière dans sa cage? Le canari siffleur derrière ses grilles?
Elle se retourna sur son lit, encore ensommeillée. Il lui semblait entendre des bruits au loin. Provenaient-ils de ses rêves à peine finissant ou de la réalité qui la rattrapait?
Elle prit peu à peu conscience de son corps qui s'éveillait. La nuit et le sommeil lui apparaissaient comme une petite mort. Elle s'en était confiée à Alba, sa précieuse nounou, qui veillait sur elle avec tant d'affection. Celle-ci lui avait raconté une légende de son pays, lui indiquant que chaque jour était un éveil au monde, une victoire du soleil et de la lumière sur le noir et l'obscurité. Dans son village, poursuivait-elle, on célébrait la renaissance du jour par une salutation qui éveillait l'esprit et le corps et qui remerciait la nature. Sayna en avait appris les rituels et ne manquait pas de les invoquer quand elle n'oubliait pas et surtout quand personne ne la voyait dans la maison. Sa mère, ni son père n'auraient apprécié ces rites païens que lui inculquait sa nourrice. La jeune fille le savait et pour rien au monde n'en aurait parlé. Officiellement, Alba, esclave dans la grande demeure bien avant sa naissance, s'était convertie à la religion monothéiste de ses maîtres depuis son arrivée dans la maisonnée alors qu'elle n'était qu'une jeune adolescente apeurée. Elle semblait avoir bien changé depuis, mais sous ses airs apparents de domestique intégrée, elle conservait de son enfance des souvenirs qu'elle partageait avec la jeune fille dont elle s'occupait depuis la naissance. 
— Une façon pour moi de ne pas disparaître complètement, lui assurait-elle. 
Une continuité aussi, peut-être même une espèce de vengeance par rapport à ses maîtres qui l'avaient achetée. Élever leur enfant chérie dans les croyances anciennes des peuples conquis et soumis à l'esclavage était une façon de conserver une liberté et un pouvoir dont ils l'avaient dépossédée.
Elle entendit le pas léger d'Alba qui poussait la porte et entrait dans sa chambre. Sayna se demandait toujours comment sa nounou savait l'instant précis où elle ouvrait les yeux. Quand elle lui posait la question, Alba se contentait d'un sourire:
— Je sais, c'est tout. C'est parce que je t'aime et je vis en toi.
Cette réponse laissait la jeune fille dans l'interrogation. Elle en avait parlé à sa grand-mère qui lui avait répondu:
— Alba est un peu sorcière, comme moi. N'en parle à personne.
Alba et Isabelle, les deux personnes indissociables de la vie de Sayna. Toutes d'eux d'origine étrangère et, comme aimait à le répéter son père, Karim, aussi bizarres l'une que l'autre.
— Je m'en méfie, se plaisait-il à répéter , mais je n'ai pas d'autre choix que de les supporter.
Les deux femmes, à la personnalité bien affirmée, s'imposaient dans la maison. Avec leurs  origines et histoires particulières, elles formaient un duo de choc, dont beaucoup se méfiaient, mais essentiel à la bonne marche de la famille.
Elles étaient différentes et, paradoxalement, se ressemblaient, parfois complices, parfois jalouses, mais finissant toujours par obtenir gain de cause. Elles avaient un point d'attache commun, Sayna, qu'elles défendaient comme des louves, aussi féroces que des lionnes envers quiconque s'en approchait ou la menaçait. La jeune fille trouvait parfois leur amour un peu étouffant.
Isabelle était sa grand - mère maternelle, la mère de Myriam. Née chrétienne dans cette Espagne musulmane du quinzième siècle, elle avait quitté sa famille et le luxe de son château de naissance pour épouser son grand-père qu'elle avait croisé dans les rues de sa ville natale où il était en mission diplomatique. Il avait été reçu par les dirigeants chrétiens de Tolède avec qui les échanges étaient nombreux. Il était tombé sous le charme des yeux verts de la demoiselle qui en avait joué pour le séduire. Il ignorait qu'elle avait organisé la réception à laquelle il était invité et avait rapidement succombé à sa séduction. Elle avait su convaincre son père de la laisser épouser ce jeune homme musulman, si aimable, si cultivé et si riche. Son père, étant incapable de résister à sa fille, avait cédé. Les unions mixtes n'étaient pas rares dans cette Espagne qui ne savait pas vraiment si elle était encore musulmane, le sud du pays restant sous la domination des Arabes, ou déjà chrétienne, comme une grande partie du nord du pays de la Reconquista. Tous ses habitants étaient des sangs mêlés, même si certains prétendaient conserver leur sang bleu.
Isabelle avait épousé son bel étranger et était venue s'installer avec lui près de Grenade, dans la grande finca de sa nouvelle famille. Elle s'était très vite imposée, avait conservé son prénom et sa religion chrétienne en dépit de sa belle - mère, avait câliné son beau - père, devenu son meilleur allié, et s'était révélée un pilier de la famille, s'affirmant par un caractère déterminé et un esprit d'entreprise qui compensaient la trop grande gentillesse de son époux. Elle avait décidé n'avoir qu'un enfant, au grand désespoir de sa belle - mère, surtout quand l'enfant se révéla être une fille, qu'elle prénomma Myriam, dont l'oecuménisme lui plut. Son mari approuvait tout ce qu'elle faisait. Jamais son admiration pour son épouse chérie ne faillit. On racontait dans la maison que ses derniers mots furent une déclaration d'amour à celle qui fut sa compagne, paroles qu'il murmura avant de rendre son dernier souffle, refusant la prière que son entourage voulait qu'il prononce afin de s'ouvrir les portes du paradis. 
— Mon paradis est là, chuchota-t-il. C'est Isabelle.
Cette mort, romantique à souhait, accompagna toute l'enfance de Sayna dont le grand - père disparut peu avant sa naissance. Sa grand-mère, en dépit de son réel chagrin, reprit le cours de la vie avec l'énergie qui la caractérisait et se consacra alors entièrement à sa petite-fille dans laquelle elle voyait une réincarnation de son époux. Encore une idée étrange qui faisait grincer les dents du père de Sayna, sourire sa mère, Myriam, et qui était largement approuvée et partagée par Alba qui y retrouvait une de ses croyances anciennes. Toutes deux, parfois, organisaient des cérémonies étranges, dans une vieille chapelle abandonnée de la ville, ou dans une grotte au fin fond de la propriété qu'Alba avait aménagée à sa manière, la remplissant de statuettes surtout féminines, de talismans et autres objets bizarres. Elles y invoquaient pêle-mêle des saints chrétiens, des divinités païennes et des marabouts musulmans. 
La religion qui imprégnait Sayna était un syncrétisme entre tout cela, auquel s'ajoutaient les écrits philosophiques grecs et romains que lui inculquait son précepteur, admirateur inconditionnel de Platon, Cicéron, Virgile et Aristote.
Sayna avait une tête bien pleine, mais parfois un  peu confuse, d'autant plus qu'elle vivait dans une ville arabe et musulmane et que ses parents pratiquaient un islam libéral, tout en respectant les principes essentiels. Si les cinq prières quotidiennes n'étaient pas systématiques, en dépit des superbes tapis de prières que l'on trouvait dans toutes les pièces de la grande maison, on pratiquait le jeûne du Ramadan, on n'oubliait pas l'aumône envers les plus pauvres, son père avait fait le pèlerinage à La Mecque, qu'il avait couplé certes avec un voyage d'affaires, il est vrai, et les expressions louant Allah faisait partie du vocabulaire courant, sans peut-être qu'on y accorde systématiquement un sens religieux. Isabelle mélangeait volontiers les intercessions auprès de Dieu et de ses saints et celles envers Allah, dont elle disait que c'était le même personnage. Ces propos faisaient rire jaune les religieux qui les entendaient, mais personne n'osait affronter l'énergique vieille dame, ni se fâcher avec sa famille riche et bienveillante.
Sanya avait un petit frère, Americ, qui bénéficiait de la même éducation hétérogène et dont le rire égayait toute la maison. Il se fichait éperdument des croyances des uns et des autres et, en dépit de son jeune âge, en prenait ce qui lui convenait. Il ne voulait pas jeûner, se trouvant trop jeune et prétextant des malaises quand il restait la journée sans manger. Tout en n'étant pas dupes, se rendant compte que sa grand-mère le nourrissait en cachette, ses parents avaient cédé, expliquant à leur entourage qu'il souffrait d'une santé fragile, ce qui laissait les proches sceptiques face à sa redoutable énergie, et que Dieu exemptait les malades du jeûne. 
De même, il mangeait les aliments interdits: il avait découvert, lors d'un repas dans une famille chrétienne de la ville, le goût du cochon sauvage. Il avait adoré et s'en procurait qu'il dévorait avec Isabelle et Alba, en cachette de son père et avec l'accord tacite de sa mère qui fermait les yeux devant les excentricités d'Isabelle. Il lui arrivait aussi, en dépit de son jeune âge, à peine quatorze ans, de se délecter de ce vin sucré qui était produit dans le sud de l'Espagne et qu'Isabelle se faisait livrer régulièrement, prétendant que cela la requinquait lors qu'elle se sentait faible. Cela laissait dubitatif son entourage qui se demandait quand elle pouvait bien faiblir!
C'est dans cette famille originale, mais affectueuse et unie, que Sayna grandissait, heureuse, la tête remplie des contes et légendes d'Orient et d'Occident, s'extasiant aussi bien sur les combats des valeureux chevaliers chrétiens, admirant les romans courtois dont les belles dames avaient le droit de choisir leurs champions, que se délectant des aventures de Simbad le Marin ou rêvant avec les contes des Mille et Une Nuits et la belle Shéhérazade, sans parler des récits animistes d'Alba. 
C'était une jolie adolescente, aux yeux verts, à la chevelure aux reflets roux, délicatement nuancés par les applications de henné, ce qui mettait en valeur le teint clair dont elle avait hérité de sa mère et de sa grand-mère. Depuis quelque temps, elle remarquait que ses parents, en particulier son père, malgré l'adoration qu'il lui portait, évoquait un éventuel mariage avec un jeune homme bien sous tous rapports, fils d'un ami cher, beau, précisait-il, riche, ce qui n'était pas à négliger , et cultivé, car il avait conscience que l'éducation qu'il avait donnée à sa fille ne lui ferait pas accepter un rustre.
Ces évocations provoquaient la colère d'Isabelle qui martelait qu'elle avait choisi "son homme", tout comme sa fille, rappelait-elle à son gendre, et qu'il n'était pas question d'imposer un mariage à sa petite-fille qui était, de surcroit beaucoup trop jeune, pour se marier. Une mauvaise foi évidente  qui lui faisait refuser d'entendre les réponses de Karim quand il lui rappelait qu'elle était bien plus jeune quand elle avait choisi son mari, arguments qu'elle balayait d'un revers de main:
— Ce n'était pas la même époque. Vous êtes rétrograde, mon cher!
Son père, pour éviter toute dispute qu'il craignait de perdre face à la coriacité d'Isabelle, se contentait d'entretenir de ses projets sa fille quand ils étaient seuls, en lui proposant de lui présenter cet éventuel prétendant.
— Sans aucune contrainte, ni engagement, précisait-il. Peut-être, te plaira-t-il!
Sayna était partagée. Certaines de ses amies étaient déjà promises, les plus âgées mariées depuis peu. Celles-là, elle les voyait moins qu'avant, prises qu'elles étaient par leurs occupations et responsabilités nouvelles. Ce manque de liberté ne la tentait guère. Elle préférait prendre son temps. Elle accepterait, dans quelque temps, pour faire plaisir à son père, de rencontrer son candidat, mais, en secret, elle aurait aimé vivre la même aventure que sa grand-mère qui lui avait maintes fois raconté sa rencontre avec son grand-père, sa séduction et son bonheur. Sayna rêvait d'une rencontre magique avec un beau jeune homme!

CHAPITRE 2

Les journées s'écoulaient paisiblement dans la grande maison, emplie de rires et de chants, parfois des cris de colère d'Isabelle dont le rude caractère terrorisait certains de ses proches, à l'exception de ses petits-enfants et d'Alba, qui rejetait d'un haussement d'épaules les remontrances de la vieille dame. Depuis quelque temps, Americ semblait imiter sa grand-mère et on l'entendait râler … après ses chiens, sa soeur parfois, les contrariétés de la vie surtout, qu'il semblait mal supporter quand elles s'opposaient à ses envies. Dans ces moments-là, seule sa grand-mère lui tenait tête, ses parents préférant s'éclipser et Sayna se contentant de rire, ce qui accroissait sa rage.
Sayna et Americ avaient un emploi du temps bien rempli, comme tous les entants de riches familles. La matinée était consacrée à l'étude, littérature, philosophie, mathématique, histoire géographie et langues. Dans cette Espagne si diversifiée, leur père jugeait nécessaire qu'ils parlent plusieurs langues, celles de leurs ancêtres, l'arabe, le castillan, mais aussi le latin, indispensable pour se pencher et comprendre les textes anciens, un peu de grec, et la langue des francs, ce royaume au nord dont on disait à cette époque qu'il devenait le plus puissant de cette partie du monde.
Le repas de la mi-journée était pris en famille, sauf lorsque leur père devait s'absenter pour ses affaires. Il était servi par les domestiques et esclaves de la maison sous la surveillance sans concession et l'oeil acéré d'Alba qui en surveillait la préparation et le service. Les mets étaient variés, Isabelle, Myriam et Alba choisissait les menus qui se faisaient en fonction des saisons et des produits disponibles, mais aussi suivant les goûts et habitudes alimentaires de chacun. Isabelle avait introduit des recettes espagnoles, Karim ses goûts alimentaires familles d'Afrique du Nord et Alba les avait habitués à des recettes abritaient originales.
La table familiale était réputée dans la ville et on se disputait lors des réceptions pour y être invité. Isabelle et Alba éduquaient les entants à l'alimentation, tant pour les saveurs que pour la préparation des plats. Cette formation culinaire ne plaisait pas trop à leur père qui estimait que les domestiques étaient là pour ce service, mais il n'osait pas s'opposer aux arguments de sa belle-mère qui lui clamait qu'on ne savait jamais de quoi l'avenir pouvait être fait et que savoir se sustenter ne pourrait être un mal. Il y répondait par un haussement d'épaules, une moue dédaigneuse et tournait les talons, refusant de s'engager dans une discussion qu'il savait perdue d'avance. Il arrivait aux entants de préparer des repas, ce qui n'était pas pour leur déplaire, même s'ils savaient que aucun de leurs camarades ne se prêtaient à cette occupation. L'avenir donnera raison à leur originale grand-mère.
Les après-midi étaient des moments de détente, de loisirs, de promenade. Une fois par semaine, les enfants avaient des cours de musique: ils écoutaient des chanteurs invités, s'essayaient au chant ou à certains instruments de musique. La musique andalouse était un ciment collectif entre les communautés musulmane, juive et chrétienne. Grands et petits, jeunes et plus âgés se complaisaient à écouter les poèmes chantés de Ibn Ezra de Grenade ou de Ibn Sahl al-Israeli de Séville qu'accompagnait délicatement ou de façon plus rythmée le luth. Ils voyageaient pareillement avec les récits des trouvères et troubadours qui venaient de pays du Nord et qui leur contaient les récits des preux chevaliers et de leurs belles dames. Les thèmes des deux musiques traitaient des mêmes épopées guerrières et amoureuses qui faisaient rêver Americ qui se voyait en héros guerrier pourfendant un ennemi pas toujours bien identifié, Sayna qui s'imaginait en demoiselle adorée par son élégant chevalier et même Isabelle et Alba que leurs songes faisaient voyager dans un temps lointain connu d'elles-seules.
Le temps clément de la région andalouse permettait de nombreuses sorties et ballades en ville ou à la campagne. Ils rendaient visite à leurs parents et amis, nombreux car la famille était connue et installée depuis de nombreuses générations dans la cité. 
Karim possédait des terres dans les environs de la ville, orangeraies, roseraies, champs cultivés de toutes sortes de produits qui constituaient une de ses principales sources de richesse et qui alimentaient une grande partie de ses activités commerciales. La route d'Al Idrissi citait déjà au douzième siècle la région comme une riche région agricole, en particulier produisant de la canne à sucre dont l'Europe comme le Maghreb étaient friands, tout comme ils raffolaient du riz, du safran, de la cannelle, du cumin, des amandes et autres épices. Le coton était envoyé en Orient comme en Occident, dont la qualité et la solidité en faisaient un tissu de choix.
L'Andalousie était une importante région commerciale où de nombreuses routes et commerçants se croisaient. Un lieu de rencontres internationales qui enrichissaient le pays et ses habitants, tant financièrement que culturellement.
Sayna aimait particulièrement les sorties à la campagne. On y partait souvent la journée entière, parfois on dormait sur place, quand il faisait doux, évitant les froids piquants de l'hiver, qui pouvaient apporter de la neige sur les sommets proches, tout comme les fortes chaleurs estivales, préférant le printemps quand les fleurs parfumaient et coloraient les paysages, ou l'automne, quand les arbres commençaient à roussir et les champignons à sortir de terre.
Femmes et entants partaient dans des charrettes où s'entassaient des victuailles, quelques vêtements en cas de petite fraîcheur, de l'eau, des jus de fruits dans des jarres bien bouchées, des friandises qu'on grignotait tout le long du chemin. Les enfants, les esclaves et les domestiques cheminaient à coté des attelages où étaient installées les dames de la maison. Myriam se mêlait parfois aux enfants et marcheurs. Le chemin n'était pas très long et agréable. On quittait la grande maison familiale par les petites rues de la ville où tout le monde marchait en file indienne, l'attelage passant à peine à travers les ruelles de la médina. Dès la sortie de la ville, le chemin de terre s'élargissait, bordé de champs et de prairies colorés. Les enfants en profitaient pour s'éparpiller joyeusement, cueillaient des bouquets, jouaient, criaient, se poursuivaient avant de remonter, fatigués, et de s'effondrer sur les sièges inconfortables de la charrette où, parfois, repus de fatigue, ils s'endormaient. Le voyage durait deux bonnes heures. On partait tôt pour arriver peu avant l'heure du déjeuner.
La ferme possédait une maison de pisé, construite autour d'un patio de doriques colorées et vernissées qui égayaient les tons ocres de la construction. L'ameublement y était sommaire, des tapis de laine sur les sols des pièces ouvrant sur la cour intérieure, quelques banquettes avec des matelas de laine pour s'y asseoir ou y dormir, ce qui arrivait parfois à la maisonnée, des tables rondes et basses pour pouvoir manger plus confortablement. Une fontaine au milieu du patio approvisionnait la demeure en eau et une des pièces était pourvue d'un gros poêle à bois et de plusieurs braseros pour cuisiner et se réchauffer. La plus grande salle offrait une cheminée où il arrivait le soir de profiter d'une bonne flambée pour laquelle il y avait toujours des fagots de bois prévus.
La demeure était assez vaste, même si elle ne présentait ni le luxe ni le confort de leur palais en ville et Isabelle et les enfants en raffolaient. Pour éviter les mauvaises surprises que pouvait lui valoir son relatif isolement, un gardien était affecté à sa surveillance. Il vivait dans une petite maison adossée à la construction principale qu'il surveillait ainsi que les granges et dépendances qui constituaient la ferme. Un poulailler abritait une vingtaine de volailles qui finissaient parfois dans la casserole de la cuisinière, au grand dam de Sayna qui refusait de manger un animal qu'elle avait vu, nourri et souvent caressé. Elle se contentait de manger les oeufs, moquée par son frère qui mordait à belles dents dans une cuisse de poulet dont il ne cessait de vanter la saveur. Seule Isabelle la défendait en demandant à Americ s'il consentirait à manger son chien qui le suivait partout où il allait. Le jeune garçon répondait qu'on ne pouvait comparer une poule et son précieux Paolo, ainsi qu'il avait décidé de nommer son fidèle ami à quatre pattes, mais ne trouvait pas de réponses satisfaisantes quand, poussé dans ses derniers retranchements par les questions acérées de sa grand-mère et de sa soeur, il finissait par dire que c'était évident, attrapait son chien et rétorquait, avec un air de grand seigneur:
— Paolo, quittons cette assemblée qui nous veut du mal!
Ce qui faisait bien rire les convives!
Alba partageait les idées de Sayna et refusait de manger toutes les viandes animales. Elle prétendait que chaque être vivant avait une âme, une sensibilité et une intelligence,  que les animaux étaient des esprits avec qui elle communiquait et qu'elle se refusait à manger ses amis! Elle avait presque converti Sayna à cette philosophie et la jeune fille, pourtant gourmande et gourmet, délaissait de plus en plus la consommation animale au profit d'une consommation végétale, agrémentée de nombreuses gourmandises qu'Alba ne manquait pas de lui préparer.
Karim appréciait peu ce changement de mode alimentaire, accusant Alba d'hérésie ou d'apostat dans ses croyances profondes. Ce que à quoi, la vieille esclave qui ne s'en souciait guère, répondait par un soupir et un haussement d'épaules. Il répétait à sa fille qu'elle ne mesurait pas sa chance de pouvoir manger de la viande et choisir ses aliments alors que tant de gens en manquaient et mangeaient ce qu'ils pouvaient bien trouver. Myriam avait bien essayé de persuader sa fille du bien-fondé de la consommation de viande, mais en vain. Isabelle ne prenait pas partie dans ce problème, car en fait, elle avait des arguments en faveur des deux bords et se révélait incapable de trancher, ce qui était un fait rare chez elle.
Cela n'affectait pas vraiment la vie familiale, encore moins les séjours à la campagne de la famille.
Une vie radieuse, privilégiée, dont Sayna et les siens profitaient sans égoïsme, mais avec une tranquillité sereine!
Ce jour-là, toute la famille était réunie à la ferme, Karim les avait accompagnés exceptionnellement car il voulait acheter des terres voisines qu'un paysan vendait, désireux de quitter le pays. Il se murmurait que la reconquête du pays par les chrétiens progressait. Karim dont les proches formaient un métissage complexe, ne croyaient pas à un quelconque danger. Il répétait que, même dans le cas d'une défaite militaire du royaume musulman d'Al Andalous, les populations civiles ne seraient pas inquiétées et tous continueraient à cohabiter. Il y aurait certes des changements, mais les trois communautés musulmane, juive et chrétienne avaient besoin les unes des autres. Les affaires restaient les affaires, par delà les différences religieuses et les faits politiques et militaires. Il ne se prononçait pas quant aux résultats militaires, il reconnaissait ne pas être un soldat, simplement un commerçant et un homme d'affaires dont la famille était installée depuis des générations dans la région. Beaucoup de ses cousins, proches ou lointains, étaient juifs ou chrétiens. Leur statut de dhimmi impliquait des contraintes, mais Karim s'en préoccupait peu. Il avait parfois aidé certains non-musulmans avec qui il réalisait des affaires. Son épouse, Myriam, était issue d'une union mixte, sa belle-mère, Isabelle, était chrétienne et, il le savait bien, n'avait pas vraiment abandonné sa foi qu'elle avait, sans se cacher, transmise à sa fille et ses petits-entants.
Ne comprenaient-ils pas tous la même langue, cet arabe andalou qui constituait un facteur d'unicité? Beaucoup d'habitants de l'Andalousie médiévale pratiquaient également l'arabe classique et le castillan, pour les besoins des affaires. Selon leur origine, certains pratiquaient le mozarabe ou le judéo-espagnol. Malgré cette diversité, Karim pensait que tous appartenaient à la même communauté, attachée à la même terre malgré leurs différences religieuses. 
Il était décidé à rester dans son pays, quelqu'en soit le destin politique et militaire. Il entendait profiter des achats qui se présentaient en cette période que certains pressentaient comme dangereuse. Arrivés à la ferme, tous déjeunèrent des victuailles préparées avant le départ. Karim expédia le repas avant de prendre visite au voisin vendeur, accompagné de son principal collaborateur, un jeune juif du nom d'Abraham Levy, qu'il concéderait comme son fils adoptif. Il prétendait avoir plus confiance en lui pour gérer ses affaires qu'en sa propre famille. Il essayait de former son fils Americ aux affaires, ce qui ne semblait pas vraiment l'intéresser. Abraham préconisait de la patience et prenait souvent le jeune garçon avec lui pour l'instruire de la gestion des nombreuses activités de Karim. Il est vrai qu'Americ paraissait vraiment hermétique à tout interêt pour le commerce, mais le jeune collaborateur ne désespérait pas. Il espérait aussi conserver son poste de proche collaborateur dans les entreprises de Karim dont il connaissait parfaitement le fonctionnement. Ce travail lui plaisait, il lui apportait aisance financière, lui permettait de voyager aussi bien en Espagne qu'au Maghreb et il avait trouvé avec Karim le père qu'il n'avait pas eu. Les différences de croyances religieuses n'avaient pas d'importance. L'islam tolérait les gens du Livre, c'est à dire les chrétiens et les juifs qui étaient de même essence que la foi musulmane et monothéistes. Karim s'inquiétait davantage des croyances polythéistes d'Alba dont il savait, malgré les apparences, qu'elle n'avait pas abandonné sa religion d'origine de sa lointaine Afrique. Il l'avait prévenue qu'il ne pourrait pas la défendre si elle se trouvait accusée de sorcellerie ou d'apostat, malgré ses relations. Ce qui touchait à la religion, malgré une relative tolérance, échappait au commun des mortels. Ces arguments ne semblaient pas toucher la vieille esclave qui lui répondait qu'à son âge, elle en avait bien vu d'autre.
Ce problème ne préoccupait pas Karim ce jour-là. Il venait discuter du prix de la propriété que son voisin voulait vendre, espérant l'avoir à un bon prix, étant donné la presse dont faisait preuve le paysan qui voulait vendre très vite pour partir sur un bateau qui quittait le port de Séville dans quelques jours. Sa famille et ses bien mobiliers étaient déjà dans la ville portuaire et l'attendaient avec impatience. Il avait l'opportunité d'acheter un petit commerce dans la ville de Fès et entendait profiter de cette occasion de réinstallation dans un pays qu'il estimait plus sûr pour lui et les siens. Il salua Karim et son collaborateur avec beaucoup de déférence car il en connaissait la richesse et espérait faire affaire le jour même. Une sorte de jeu se mit en place entre vendeur et acheteurs, le premier louant les bienfaits de sa propriété dont il assurait ne se séparer que par obligation et le coeur déchiré, les seconds considérant de façon hautaine les bâtiments qu'ils jugeaient fort dégradés et les terres fort peu fertiles et mal entretenues. Le marchandage dura plus de deux heures, au bout desquelles ils se mirent d'accord. Karim jugeait qu'une affaire était bonne quand les deux parties s'estimaient contentes et non lésées. Il acheta les terres à un bon prix, cela agrandissait considérablement sa propriété déjà fort importante. Son voisin était très content que l'affaire se conclût aussi vite. Il était pressé de partir avec la somme convenue. Pour plus de sécurité, Karim lui avait donné une lettre de change, appelée sakk, contre laquelle un de ses partenaires commerciaux remettrait à Fès la somme correspondante au vendeur. Cela évitait le transport d'espèces et les risques de perte ou de vol.
Le vendeur, satisfait,  eut vite fait de réunir ses quelques affaires et se mit en route avec une caravane de chevaux et mules qui partaient avec voyageurs et marchandises jusqu'au grand port andalou. Il y rejoignait sa famille et ses domestiques et tous s'embarqueraient sur un navire qui, en quelques jours et si Dieu le voulait, les mènerait jusqu'à la ville de Tanger. De là, par les routes commerciales et en faisant plusieurs arrêts dans les caravansérails qui parsemaient ces chemins si importants pour le royaume maghrébin où il comptait s'établir, il arriverait dans quelques semaines à Fès où une partie de sa famille était déjà établie. Il ne s'y sentirait pas perdu, car les compatriotes y étaient nombreux. Il se retrouverait dans une société dont il connaissait la langue, la religion, la culture et surtout il s'y sentirait en sécurité. Il était certain d'avoir fait le bon choix et quittait sans réel regret la terre de ses ancêtres qu'il considérait comme perdue pour les arabes musulmans. Il n'avait pas confiance en la reconquête qu'il voyait comme dangereuse pour ses coréligionnaires. L'idée de revanche risquait de diviser des populations qui vivaient en bonne entente depuis des siècles. Les religions, à son avis, n'étaient pas vraiment faites pour l'harmonie entre les hommes. 
La situation politique n'était pourtant pas simple au Maghreb, il le savait. Les Mérinides connaissaient bien des difficultés et Fès était le centre du petit royaume des Wattassides, des Berbères s'établissant en sultanat. Mais il se trouverait en terre musulmane qui ne risquait pas de faire l'objet de la reconquête chrétienne, même si des mercenaires européens combattaient dans les armées des sultans et si les Portugais occupaient quelques ports et villes. 
Karim ne partageait absolument pas ces craintes. Il était chez lui et n'envisageait pas de partir. Parfois, il reconnaissait que les progrès de la Reconquista pourraient mettre en danger la situation politique des petits royaumes musulmans d'Al Andalous. Mais tout le monde, chrétiens, musulmans et juifs, avait besoin d'activités économiques, de commerce, d'argent et lui était avant tout un homme d'affaires, important de surcroît, qui avait toujours fait preuve d'une grande tolérance religieuse. Au fond, il ne se préoccupait pas de la religion de ses interlocuteurs, en recherchant tout d'abord la compétence et l'interêt. De plus, il ne se souciait pas d'une éventuelle arrivée des chrétiens au pouvoir, étant issu d'une famille multi-religieuse. Son épouse était à moitié chrétienne, il savait bien que sa belle-mère, Isabelle, continuait à pratiquer sa foi sans vraiment s'en cacher. Ne se disait-on pas également que sa famille descendait d'une vieille famille anciennement convertie lors de la conquête arabe et dont la mixité avait traversé les siècles. En réfléchissant, il se trouvait toujours une tante juive, un aïeul chrétien, un oncle marié avec une étrangère à la religion mal précisée dans son entourage familial. Cela ne dérangeait pas la marche des affaires et la cohésion du groupe. Certes, le polythéisme d'Alba le gênait parfois, non pas à cause de ses croyances, mais il avait toujours peur qu'un extrémiste ne dénonce ses pratiques pas toujours aux normes sociétales. Après tout, la vieille esclave pouvait croire en ce qu'elle voulait. Qu'est-ce qui prouvait qu'elle eût tort?
Cet automne de l'an 895 de l'Hégire était très doux. Les récoltes de céréales avaient été bonnes et les greniers étaient pleins. Les ventes de grains avaient encore enrichi Karim qui se frottaient les mains après la bonne affaire qu'il venait de faire.
— Abraham, les affaires sont meilleures que jamais. Nos ventes progressent. Tu es le meilleur vendeur que j'ai eu depuis longtemps. Tu n'as pourtant pas l'air satisfait. Aurais-tu des problèmes? Si je peux t'aider, je le ferai.
— Non, Sidi, vous avez fait une bonne affaire… pour le moment.
— Mais…Achève ta pensée!
— La situation politique est incertaine. Beaucoup envisagent le départ vers le Maghreb.
Karim chassa cette idée d'un revers de main, comme si un moustique le gênait.
— Des pessimistes et des peureux. Que veux-tu qu'il se passe?
— La Reconquista progresse. Il se murmure que le petit royaume de Grenade ne résistera pas.
— Mais les royaumes chrétiens ont besoin de nous. Nous sommes la porte ouverte pour leur commerce vers le monde musulman. L'Émirat de Grenade a prêté allégeance au roi chrétien Ferdinand il y a plus de deux cents ans. Les Nasrides qui nous dirigent sont leurs alliés. Tu sais bien que le père de notre souverain Mohammed Al Zughbi, que les Espagnols appellent El Chico, avait une épouse chrétienne, Isabel, avec qui il a eu des enfants qui sont donc ses demi-frères et soeur. C'est la vitrine représententive de notre société, ce métissage. Boabdil est bien trop prudent pour affronter des chrétiens qu'il sait plus puissants que lui. Il veut continuer à profiter des richesses de son petit royaume et la Reconquista se désintéresse de ce petit bout de terre.
— Pas sûr, Maître. Vous êtes un bon commerçant, mais un piètre analyste politique. La vérité est autre. Les souverains chrétiens sont ambitieux, surtout la reine, et l'Église est très puissante et animée d'un désir de conversion des populations restant musulmanes ou juives. Notre petit émirat ne survivra pas longtemps.
Karim éclata de rire:
— Es-tu en train de me dire que je viens de faire une mauvaise affaire en rachetant ces terres, même à la moitié de leur valeur? Mais tu aurais du m'en empêcher, en tant que mon conseiller!
— Il y a longtemps que je sais que, lorsque vous êtes décidé, rien ne vous fait changer d'avis.
— Tu as raison, tu me connais bien. Je te le répète: tu n'as pas de souci à te faire. Nous avons fait une excellente affaire. Viens donc, allons rejoindre ma famille et fêter dignement ce succès en buvant cet excellent vin doux produit par nos vignes.
D'un pas décidé, suivi par le jeune homme pensif, il se dirigea vers la ferme où le repas était servi sous les arbres qui commençaient à se dénuder et à roussir à l'approche de l'automne. Isabelle se disait que cela risquait d'être une des dernières escapades de l'année à la campagne. L'hiver qui pouvait se révéler d'un froid mordant, ne tarderait pas.
Ils décidèrent de passer la nuit sur place. Bien vite, les domestiques allumèrent de grands feux dans les cheminées pour réchauffer l'atmosphère qui se refroidissait avec la tombée de la nuit. De grosses couvertures de laine achevaient de leur apporter chaleur et douceur. Karim et Myriam s'installèrent dans la chambre principale. Isabelle, les enfants et Alba se partagèrent avec grand plaisir le grand salon dont le sol recouvert de tapis de laine accueillait les visiteurs d'un soir. Paolo dormait près de la cheminée, sa truffe dans le cou de son maître chéri.
Les enfants adoraient ces soirées de liberté pendant lesquels ils n'étaient pas soumis aux règles de leur palais de Grenade, même si le confort était moindre. Ils écoutaient admiratifs les histoires d'Isabelle et d'Alba, si différentes, mais qui les faisaient rêver et voyager loin de leur monde. Les histoires des deux vieilles dames, ils les connaissaient par coeur, mais ils ne s'en lassaient jamais, surtout que les conteuses les modifiaient au gré de leur imagination.
Sayna et Americ aimaient entendre Isabelle leur raconter les contes persans et arabes de la princesse Shéhérazade qui était une des idoles de Sayna, à tel point qu'elle avait ainsi nommé le petit perroquet que son père lui avait rapporté d'Afrique, et dont elle avait décidé que c'était une femelle. Elle rêvait de vivre des aventures semblables, dans des contrées lointaines, avec de beaux princes qui l'admiraient et la comblaient de cadeaux. Elle se voyait au centre d'une cour flamboyante, où se côtoyaient poètes, chanteurs, troubadours, musiciens, philosophes et scientifiques. Son frère se moquait d'elle et lui rappelait qu'elle n'était qu'une femme et ne pouvait rassembler un tel entourage. Rageuse, elle lui remémorait l'histoire fabuleuse de la Kahina, cette princesse berbère qui avait combattu comme un homme.
— Je te rappelle qu'elle a fini décapitée, renchérissait son frère.
— Elle était infiniment plus courageuse que les guerriers qu'elle menait au combat. Ses ennemis en avaient peur. Et tu oublies Jamila?
— Il y a si longtemps! Ce ne sont peut-être que des histoires!
Sayna était une admiratrice de toutes ces héroïnes de l'Histoire de son pays et de ses ancêtres.
— Ce fut une guerrière formidable qui défendit Mérida avec infiniment de courage et qui n'hésita pas à se sacrifier.
Isabelle leur avait raconté de très nombreuses fois l'histoire romancée de cette princesse fabuleuse qui avait osé accompagner ses frères à la guerre et se rebeller et qui finit par se marier avec un prince chrétien dont elle eut deux fils. Son histoire lui rappelait un peu la sienne, " dans l'autre sens", précisait-elle.
— Nous sommes deux grandes amoureuses qui prouvent que l'amour n'a pas de frontière, poursuivait-elle les yeux dans le vague, bien souvent à la recherche des souvenirs de son amour avec celui qui fut son époux et qu'elle aima tant que jamais elle ne regretta son choix.
Leurs double culture leur donnait également une connaissance des épopées chrétiennes. Sayna pleurait en entendant le récit de la mort d'Aude qui s'effondra au pied de Charlemagne quand il lui annonça la mort de Roland. Elle admirait Bramimonde, la reine de Saragosse, qui se convertit sous l'influence de Charlemagne après l'avoir combattu.
L'histoire qu'elle préférait était cependant extraite des Mille et Une nuits, celle de la princesse aux perles d'eau dont la futilité et la rencontre avec l'amour l'enchantaient.
Americ écoutait ces histoires de princesses fabuleuses avec un petit sourire moqueur aux coin des lèvres, tout en restant attentif en particulier aux petits changements que sa grand-mère apportait souvent à ses récits et qu'il ne manquait pas de lui signifier.
— Ainsi, je contrôle ton attention. Mais tu dois apprendre que rien n'est immuable. Les histoires, les gens changent, la vérité aussi. Cela t'apprend à prendre de la distance et à ne pas tout accepter sans réfléchir.
Alba n'était pas en reste lors de ces soirées de contes et histoires en tout genre. Ses récits étant plus sombres, c'était elle qui achevait habituellement la soirée, juste avant de dormir. Les enfants se perdaient avec elle dans de noires forêts, peuplées d'esprits, ni mauvais, ni bons, qu'il fallait apprivoiser en leur faisant des offrandes, en psalmodiant des paroles étranges qu'ils ne comprenaient pas. Ces entités effrayantes leur promettaient les pires tortures comme les plus doux délices. Il fallait savoir attirer leurs faveurs et ils étaient très capricieux, réclamant toute sorte de choses, des sucreries, des gâteaux, des fleurs, mais parfois aussi des actes bizarres, comme se prosterner devant un arbre, embrasser une plante, parler avec un animal.
— C'est Dame Nature, leur rabâchait Alba. Il faut l'aimer, la respecter, la craindre. Elle est votre principale richesse, votre compagne quotidienne. Vous n'êtes rien sans elle. Tout est esprit!
C'était la raison pour laquelle Alba refusait de manger la chair animal.
— Je ne vais pas manger mon frère, mon ami.
Cette religion animiste qu'elle avait rapportée de son enfance africaine dans la forêt, les enfants en étaient imprégnés et ils l'écoutaient avec respect, tout comme Isabelle qui hochait souvent la tête face à des croyances dont la logique la perturbait dans sa foi monothéiste, chrétienne ou musulmane, puisqu'elle naviguait entre les deux, aboutissant à un syncrétisme singulier et tolérant. Elle mettait cependant Alba et les enfants en garde, leur demandant de ne pas divulguer ces idées interdites par la loi. 
La situation politique et militaire était tendue, les religieux s'accrochaient à leurs privilèges et la tolérance de jadis s'effritait. Les dhimmi étaient de plus en plus surveillés. Certaines conversions étaient imposées, leurs impôts augmentaient, les lieux de culte devenaient l'objet de destruction avec interdiction de reconstruire. Il y avait certes longtemps que les cloches ne sonnaient plus dans la ville et les campagnes environnantes, mais un sévérité accrue rendait la vie des gens du Livre compliquée, bien différente des siècles précédents. Karim en avait averti sa famille, insistant sur la discrétion qu'il demandait à Isabelle et surveillant étroitement Alba qu'il ne pourrait sauver si elle tombait entre les mains de religieux bornés, comme on en voyait de plus en plus. Le sultan Boabdil, en dépit de sa proximité familiale avec des chrétiens, ne réagissait pas face à cette situation nouvelle que Karim jugeait dommageable pour la bonne marche des affaires et de la vie quotidienne.
Cet hiver de 895, 896 de l'Hégire, fut le dernier que la famille passa tranquillement. L'Histoire les rattrapa vite et dramatiquement. C'en fut bientôt fini de l'insouciance.

vendredi 18 janvier 2019

MEURTRES AU MONASTÈRE! Un film???

Les jours et les semaines sont ainsi faits, de bonnes et de moins bonnes nouvelles !!!
On vit avec, en essayant de voir le verre à moitié plein et d'oublier qu'il en manque une partie...

Je vous ai parlé il y a quelques mois de ma petite nouvelle policière, inspirée d'un séjour fait dans un monastère de l'Atlas (séjour qui s'est très bien passé, je vous rassure!)

"MEURTRES AU MONASTÈRE"

Ce roman plaît à une scénariste qui me propose de le mettre en scène pour le soumettre à des producteurs.
Attention, ce n'est pas encore la gloire...Ce n'est qu'à l'état de projet!

Un compliment m'a fait particulièrement plaisir, quand elle m'a dit que mon histoire lui avait fait penser au célèbre film
"Au nom de la Rose"
Excusez du peu. Mais j'en ai rosi de plaisir...On le serait à moins!

Toujours est-il que je suis contente de vous faire partager cette nouvelle.

Pour vous permettre de vous plonger dans le livre, il est offert en titre gratuit en téléchargement ce week-end!
Laissez-vous tenter et venez avec moi faire le voyage dans ce magnifique monastère du désert et de la montagne.

Bonne lecture et à bientôt!

https://www.amazon.fr/MEURTRES-AU-MONAST%C3%88RE-DOMINIQUE-VIETTI-LETOILLE-ebook/dp/B07FRVKXYM/ref=sr_1_1_twi_kin_2?ie=UTF8&qid=1547829309&sr=8-1&keywords=meurtres+au+monast%C3%A8re


mercredi 2 janvier 2019

LUMIÈRE POUR L'ANNÉE NOUVELLE !



Une lumière d'espoir pour 2019 !

Pour commencer l'année nouvelle, je vous offre la lumière d'une bougie pour vous éclairer sur des chemins pas toujours faciles, avec une brassée de bonheurs, grands et petits !



Réussites et succès, tolérance et gentillesse, bonté et empathie pour tous...

Pour vous faire un peu rêver.... Mais aussi pour retrouver le désert, mais aussi l'Humain, avec ses cotés lumineux et ses faces plus sombres!!!

Un extrait de "MEURTRES AU MONASTÈRE"


"Elle était arrivée la veille, au soir tombant. Un taxi brinquebalant l'avait déposée avec sa valise, son sac à dos et sa précieuse sacoche d'ordinateur devant la porte du monastère. Personne, sinon l'horaire des offices, pas même un gardien. Elle avait toqué plusieurs fois à la porte métallique avant d'apercevoir, haut perchée certainement pour échapper aux plaisanteries des gamins, une sonnette électrique, en fait un interphone, un peu décalé sur le mur en pisé de cette forteresse, car c'est la première image qui lui était venue en tête quand elle avait aperçu la bâtisse. Une forteresse, semblable aux ksour qu'elle avait devinés, cachés dans la montagne, sur le trajet parcouru pour venir. Une voix à l'accent hispanique lui répondit en français. Elle déclina son identité annoncée lors des échanges par mail qu'elle avait eus précédemment. Car on était dans la montagne, loin de tout, mais internet fonctionnait et le monastère était mieux relié au monde par le réseau virtuel que par la piste de terre qui y menait. Paradoxe de la mondialisation !
Bienvenue, lui répondit la voix chaleureuse. Je viens vous ouvrir.
Quelques secondes après, la porte latérale s'ouvrit sur un homme aux tempes grisonnantes, le visage éclairé d'un large sourire.
— Bienvenue, répéta-t-il. Nous vous attendions. Vous avez fait un bon voyage ?
— Un peu long, répondit-elle, en pensant aux dix heures de car et aux quatre heures de taxi collectif. Mais arrivée à bon port, c'est le principal !
— En effet, dans notre vie, on oublie souvent le principal. Peut-être , ici ?
Elle lui sourit sans répondre. Cet homme devait avoir l'expérience de l'âme humaine, même dans son monastère isolé et en dépit de sa vie monastique apparemment loin des brouhahas de la société. C'était en effet ce qu'elle recherchait, une pause et, dans le meilleur des cas, mais elle n'y croyait pas trop, une certaine sérénité.
Il lui indiqua une affiche punaisée sur le bâtiment que la croix qui le surmontait, désignait comme l'église.
— Ce sont les horaires des offices. Mais sans aucune obligation pour vous. Simplement, évitez de sonner à la porte pendant ces temps de prière, sauf urgence, bien sûr. Je viendrai vous ouvrir, évidemment, ne vous inquiétez pas. Ces moments de recueillement sont importants pour notre communauté.
Il la regarda plus intensément et poursuivit :
— Sachez que nous sommes toujours là si vous en éprouvez le besoin.
Elle lui sourit, tout en se demandant comment cet homme avait abouti comme moine cistercien dans ce couvent perdu. Il avait certainement eu une vie avant, un métier, une famille, peut-être une compagne, des enfants, pourquoi pas ! Voilà qu'elle recommençait à divaguer, à imaginer des romances. Elle était venue pour déconnecter, pour se reposer et non pour s'interroger, se compliquer la vie.
— Vous n'êtes pas croyante ?
La question, mais en était-ce une, était directe, sans fioritures. Son sourire fut une réponse.
— Je le fus.
— J'aime votre sincérité. Venez assister à quelques offices. Vous y trouverez peut-être la réponse à vos interrogations.
Il avait du être psy dans le civil. Elle se souvenait de sa grand-mère qui allait en confession régulièrement. Avec le recul, elle pensait que c'était des séances de psy dont la vieille dame revenait reposée, tranquillisée. Finalement, Freud et Lacan n'avaient pas inventé grand-chose et n'avaient fait que reprendre ce que la religion et les religieux avaient, de gré ou de force, par manque de moyens, abandonné, tout au moins en Occident. L'Orient avait gardé sa religiosité, et pas toujours pour le

le retrouverez -
vous
meilleur.
Elle hocha la tête.
— Je viendrai, mais je ne vous promets pas d'assister à
tous les offices.
— Surtout à quatre heures du matin, ajouta-t-il en riant.
Il avait le sens de l'humour.
— Venez donc, je vais vous présenter l'établissement et votre chambre, peut-être devrais-je dire votre cellule. On n'a pas encore eu de certification touristique, mais je doute qu'on ait ne serait-ce qu'une étoile. On ne vient pas ici pour le confort, n'est-ce pas !
La visite des bâtiments fut rapide, le religieux portant galamment la petite valise d'Isabelle. Le réfectoire avec les heures de repas, la bibliothèque, les douches et sanitaires et sa chambre. Il est vrai que le mot cellule convenait, encore que, comparée aux cellules monastiques d'antan, elle fut dotée d'un certain confort. Certes, pas de chauffage, mais une grosse couette et des couvertures. Après tout, on était au printemps malgré la fraîcheur des nuits. Un lavabo, un petit placard, une table et une chaise, et une fenêtre à barreaux, qui donnait sur le jardin et au loin, la vallée et la montagne dont les sommets se détachaient sur le bleu du ciel. Et surtout, le silence, à peine écorné par quelques bruits de chiens qui aboyaient, d'un âne qui bramait, d'oiseaux qui semblaient discuter et, dans le lointain, des hommes qui parlaient et dont on devinait les voix.
— Parfait, acquiesça-t-elle.
— Je vous laisse. Voici vos clés. Installez vous.
Il s'inclina légèrement et disparut dans un bruissement de bure car il portait l'habit monastique. Elle posa sa valise sur le lit, en sortit les quelques vêtements qu'elle y avait rangés, se félicitant de ne pas avoir oublié une veste de laine et un coupe-vent, et les disposa dans le petit placard où quelques cintres lui permirent de les défroisser un peu. Elle ne venait pas en représentation, mais elle tenait cependant à soigner son apparence. Le lit rapidement fait, elle regarda par la fenêtre et se perdit dans la contemplation du paysage et surtout dans le silence dont on n'a plus l'habitude dans le monde actuel. Elle qui était une fille de la mer, voilà qu'elle se mettait à apprécier la montagne, pour les lieux de paix qu'elle offrait encore, alors que les côtes maritimes, même les plus lointaines, étaient de plus en plus envahies. Trouver un authentique village de pêcheurs relevait en Europe de l'impossible. Les îles les plus lointaines succombaient aux appels du tourisme qui leur apportait le progrès, les soins et surtout cet indispensable argent dont le monde est friand. Une attitude normale pour des populations pauvres à qui la lucarne de la télévision faisait découvrir une vie totalement différente et qui paraissait tellement plus facile et meilleure. Elle savait que le progrès contribuait à ce changement inéluctable et normal. C'est ainsi que le monde a toujours avancé. Peut-on reprocher à des hommes et des femmes d'espérer une vie meilleure pour leurs enfants, l'accès aux soins, à l'éducation, aux basiques comme l'eau, la santé, la vie, en bref tout ce que nous connaissons depuis des décennies et qui nous parait tellement évident que nous ne nous posons même pas la question quand nous ouvrons le robinet, allumons la lumière ou nous faisons soigner. Nous n'acceptons pas, ou mal, la maladie, la mort de nos proches. Nous n'envisageons pas de manquer de nourriture, d'eau, d'un certain confort que nous considérons comme normal.
Isabelle ne croyait pas à la théorie du bon sauvage de Rousseau, de l'Eden perdu.
Qui ose évoquer les tribus Caraïbes sauvages qui massacraient avec allégresse et cruauté les peuples ennemis et plus faibles qui les détestaient et les craignaient ?
Qui parle encore des guerres fleuries des Aztèques qui, en fait, n'étaient que le moyen de se procurer, dans les tribus vaincues, des offrandes humaines destinées à leurs propres dieux ? Pourquoi cacher les tribus amazoniennes qui, de nos jours encore, pratiquent l'infanticide pour éliminer les enfants handicapés ou les membres considérés comme inutiles ou en surnombre ?
Le passé est rarement glorieux, des Croisades aux guerres de religion, des conquêtes à l'asservissement."



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BONNE ANNÉE 2019 et à très bientôt....