Un titre provisoire
"Une ombre au programme"
Une couverture ????? en attente....
Mais une histoire en tête et une écriture bien avancée !
Une façon de m'évader des problèmes quotidiens....
Je vous livre un passage de cette course fabuleuse derrière un hypothétique et étrange héritage, assorti d'un testament non moins bizarre, qui vous fera voyager de l'Italie du début du vingtième siècle à l'Argentine des années cinquante, pour aboutir à Monaco et dans la France contemporaine, avec toujours des personnages féminins forts, Claire, Maria, Luisa, Céline.... et leurs compagnons, Tonio, David..., des paysages fabuleux, des destins extraordinaires....
Bonne lecture
"Une ombre au programme"
Une couverture ????? en attente....
Mais une histoire en tête et une écriture bien avancée !
Une façon de m'évader des problèmes quotidiens....
Je vous livre un passage de cette course fabuleuse derrière un hypothétique et étrange héritage, assorti d'un testament non moins bizarre, qui vous fera voyager de l'Italie du début du vingtième siècle à l'Argentine des années cinquante, pour aboutir à Monaco et dans la France contemporaine, avec toujours des personnages féminins forts, Claire, Maria, Luisa, Céline.... et leurs compagnons, Tonio, David..., des paysages fabuleux, des destins extraordinaires....
Bonne lecture
Il fait chaud
en ce début d'après - midi dans la campagne italienne. Maria
transpire en rapportant la jarre d'eau de la fontaine installée sur
la place du village. Le mois de septembre s'achève. La fraîcheur va
bientôt rendre son travail moins difficile. Plus que l'arrivée d'un
temps plus supportable, Maria attend surtout une lettre. Son mari,
Tonio, est parti depuis plus d'un an, comme tant d'autres habitants
du petit bourg du Nord de l'Italie, en Amérique. Ils sont nombreux,
les hommes qui ont émigré. Le village est surtout peuplé de
personnes âgées, de femmes et d'enfants qui attendent. Qui
attendent quoi ? Une lettre, un peu d'argent et surtout un
billet qui leur permettra de quitter leur misère, leur vie de peine.
Maria, comme les autres, espère le passage du courrier une fois par
mois, une enveloppe avec de l'argent pour que sa petite fille Luisa,
qui vient de faire ses trois ans, et elle-même puissent partir, loin
de cette poussière, de ce village perdu dans la campagne, loin de
tout, alors qu'on est à la veille du nouveau vingtième siècle que
certains attendent avec appréhension et d'autres avec espoir. Maria
se dit qu'elle n'a rien à perdre à partir. Ses parents ont disparu
il y a déjà plusieurs années, leur laissant à ses deux frères et
à elle-même un minuscule lopin de terre que ses frères ont
abandonné pour aller s'embaucher dans les usines de Turin et
qu'elle-même a renoncé à cultiver seule. Cette terre aride,
infertile, est tout juste bonne pour les chèvres, celles de Maria et
de quelques voisins encore plus pauvres. Il y a longtemps que la
dernière somme d'argent envoyée par Tonio est dépensée. Il n'y en
avait pas beaucoup dans sa dernière enveloppe. Maria a économisé
autant qu'elle l'a pu, mais il faut bien vivre. La vente du lait et
des fromages de chèvre rapportent si peu. Maria sait coudre et a un
véritable talent pour fabriquer avec peu de moyens des accessoires
dont les femmes sont friandes, chapeaux, colliers, breloques, châles,
rubans et autres chiffons. C'est ce qui leur permet à Luisa et à
elle de vivre, peut-être un peu mieux que la majorité des habitants
du village. Elle exerce ses talents lors des noces en fabriquant des
bouquets colorés, des voiles scintillants, des coiffes aériennes.
Elle vend aussi, par l'intermédiaire de quelques colporteurs qui
passent de temps à autre, des colifichets dont ils lui rapportent
ensuite le prix de la vente après avoir pris leur commission. Maria
soupire quand elle voit le peu qu'ils lui rapportent mais elle n'a
pas d'autre choix. Il faudrait qu'elle s'installe en ville pour
vendre davantage. Elle a décidé d'attendre une dernière réponse
de Tonio avant de prendre une décision, pour le siècle nouveau. Si
l'espoir de partir en Amérique le rejoindre s'évanouit, elle
partira pour la ville avec la petite Luisa. Elle met tout son espoir
dans cette enfant brune aux immenses yeux verts, remarquablement vive
et attachante. Maria veut que sa fille aille à l'école et fasse des
études, pas comme elle qui sait à peine lire, écrire et compter
grâce à l'enseignement que le vieux curé donne aux enfants du
village. Elle désire un autre avenir pour sa fille. Ce sera
l'Amérique ou la ville, mais pas ce trou perdu où l'espoir est mort
depuis longtemps. La jarre pleine pesant sur son épaule, Maria
pénètre dans la petite maison de terre. La soudaine obscurité
l'aveugle quelques secondes. Elle n'a pas assez d'argent pour laisser
une lampe allumée la journée. On ne l'allume que le soir, et
encore, quand le feu crépite dans la cheminée, on se contente de sa
lueur. Elle pose la lourde jarre près de l'évier de pierre qui sert
pour laver les quelques assiettes et plats qu'elles utilisent, mais
aussi le linge, faire la toilette, cuisiner. La maisonnette est
constituée de deux pièces, une salle principale où sont installés
une table de bois foncé, quatre chaises et, dans un coin, un petit
lit recouvert d'un couvre-lit de patchwork soigné, surprenant dans
ce lieu et œuvre de Maria, constitué de bouts de tissus des
ouvrages qu'elle a fabriqués pour les uns et les autres. Pour le
plus grand bonheur de Luisa, elle l'a rebrodé de petits nœuds de
rubans de couleurs qui donne douceur et élégance au petit lit et
même à toute la pièce car Maria a poussé le luxe jusqu'à
confectionner un rideau assorti qui voile légèrement la seule
fenêtre éclairant la petite maison. La deuxième pièce fermée par
un rideau de toile écrue est pompeusement appelée la chambre. C'est
un petit lieu clos où un lit un peu plus grand a été casé,
laissant à peine un minuscule espace pour y accéder. Pour cette
chambre, Maria a également utilisé des pièces de tissu pour
fabriquer un couvre-lit, moins sophistiqué que celui de Luisa, mais
agréablement coloré, sur lequel elle a brodé avec la laine filée
des chèvres, des petits angelots qui donnent de façon surprenante à
cette pièce rustique un air raffiné.
Maria était
fière, au début de son mariage avec Tonio, de sa maison, mais les
difficultés quotidiennes ont vite eu raison de sa joie et de son
enthousiasme. C'est elle qui a poussé son mari à partir avec les
autres émigrants volontaires du village, encouragés par une
première série de départs qui, dans les lettres reçues par les
familles, décrivaient une vie pleine de lumière, de travail,
d'argent, de terres.
Maria avait
parcouru certains de ces courriers qui étaient accompagnés de
photographies montrant des gens bien nourris, bien habillés,
souriant béatement à l'objectif du photographe. Un des hommes du
village avait envoyé un journal. Écrit en anglais, Maria n'avait pu
qu'en regarder les images de villes illuminées, grouillantes de
passants, des intérieurs de maison grands et meublés
confortablement, comme elle en avait rarement vu, sinon en se rendant
une seule fois en ville dans une riche famille qui l'avait employée
pour préparer un mariage. Bien que logée dans une sombre soupente,
elle avait cependant vu, lors des séances d'essayage des femmes et
filles des riches propriétaires, un confort et un luxe qu'elle
n'imaginait pas et qui lui avaient laissé un souvenir obsédant et
un arrière-goût amer. Pourquoi sa fille et elle ne
goûteraient-elles pas aux mêmes conditions de vie ? Elle avait
du longuement argumenter avant que Tonio, moins ambitieux qu'elle, ne
se décide à partir. Elle l'avait même menacé de partir sans
lui.En aurait-elle été capable ? Nul ne sait...
Le facteur
doit passer aujourd'hui ou demain. Elle espère qu'il aura du
courrier pour elle. Elle n'attendra pas plus longtemps. On est en
1899. En 1900, elle change de vie, que ce soit dans la ville proche,
Turin, ou, pourquoi pas, à Rome, ou en Amérique, si Tonio lui donne
des nouvelles et envoie de l'argent pour leur voyage. Elle est si
fatiguée de cette vie de labeur, sans espoir ni avenir pour Luisa et
pour elle. Elle se laisse tomber sur une chaise de bois et pose sa
tête sur les coudes étalés sur la table. Elle n'en peut plus,
épuisée après avoir charrié la lourde jarre, mais aussi lassée
par sa vie seule. Tonio lui manque et elle se demande ce qu'il fait
dans la lointaine Amérique. Elle sait que c'est un homme sérieux,
mais elle imagine les tentations offertes par sa nouvelle vie. Ce ne
serait pas le premier qui disparaîtrait sans donner de nouvelles,
mort ou embrigadé dans une autre vie dans laquelle elle n'aurait pas
sa place. Loin des yeux, loin du cœur, disait sa mère dont
plusieurs frères avaient été happés par le Nouveau Monde sans
plus donner de nouvelles, abandonnant père, mère, sœur et, pour
certains, femmes et enfants. Il se raconte des choses sur la violence
qui règne dans la grande ville où vont la plupart des émigrants de
la péninsule qui s'appelle New York. C'est le port d'entrée pour
tous. Un certain nombre d'arrivants y sont refusés, sans toujours
comprendre pourquoi. Il paraît qu'en s'engageant pour des puissants,
ils pourraient entrer clandestinement. On parle de la mafia, des
parrains. C'est un monde inconnu pour ces paysans du nord de l'Italie
qui inquiète les femmes et les anciens mais qui subjugue les plus
jeunes qui prétendent qu'ils peuvent ainsi rapidement s'enrichir.
Maria est inquiète. Elle sait que Tonio est influençable. Elle
aimerait être à ses côtés pour être sûre qu'il ne se laisse pas
embrigader par ces illusions.
Luisa entre
dans la maison en sautillant joyeusement, tirant sa mère de ses
sombres pensées.
— Maman,
j'ai soif, crie la petite fille tout en riant avec sa meilleure
amie du village, Elena. Tu en veux ? lui propose – t –
elle.
— Je vais
vous ajouter un peu de sirop de sucre que j'ai fait, suggère Maria
aux deux gamines qui approuvent en applaudissant.
Maria sort
deux verres du petit placard que Tonio a installé quand ils se sont
mariés pour ranger leur peu de vaisselle. Elle y fait couler un fond
de sirop marron qu'elle dilue dans l'eau fraîche rapportée dans la
cruche. Les deux enfants se régalent en se léchant les babines et
ressortent jouer. Maria admire leur innocence et se jure que jamais
sa fille ne connaîtra la même vie que la sienne. Elle vivra dans
une vraie maison, ira dans une vraie école, apprendra des tas de
choses et coulera une vie heureuse loin de ce village de poussière.
Il faut que Tonio se dépêche de lui écrire ou elle partira seule
avec Luisa. Elle ne pourra même pas le prévenir car elle n'a pas
son adresse en Amérique. Elle doit attendre, mais n'a pas
l'intention de le faire très longtemps. Elle accorde jusqu'à la
Nativité à Tonio. S'il ne se décide pas à écrire une bonne
nouvelle, elle se débrouillera seule avec Luisa, même si elle
reconnaît que partir en plein hiver n'est pas l'idéal. Aura – t –
elle la patience d'attendre le printemps ? Peut-être serait –
ce plus sage ! Elle secoue ses longues boucles brunes aux
reflets acajou donnés par l'huile de noyer qu'elle ajoute quand elle
les lave et se met à préparer le repas du soir, une soupe épaisse
parfumée avec un reste de poulet et de la polenta, le plat des
pauvres. Elle complètera le menu avec une pomme de son petit jardin.
Elle veut que Luisa ait une nourriture suffisante et équilibrée
pour garder la bonne santé qui la caractérise depuis sa naissance.
Sa fille est forte, comme elle, comme toutes les femmes de sa
famille. Il fait un peu frais ce soir. Mais il faut économiser le
bois et Maria choisit de ne pas encore allumer de feu dans la petite
cheminée de pierre. Sitôt le repas terminé et la maigre vaisselle
rincée avec un peu d'eau, la mère et la fille se lovent dans le
grand lit sous les couvertures que Maria a préparées. Elle aime ce
moment de tendre complicité entre elles deux. Tout en caressant
tendrement les longues boucles de Luisa, elle lui raconte des
histoires de fées, de princesses et de princes que sa grand-mère
lui racontait lorsqu'elle était enfant. Sa nona ne savait pas lire
mais elle était une véritable mémoire orale impressionnante dont
les histoires captivaient tout le village, grands et petits. La
vieille dame disait en riant que, si elle avait su écrire, elle
serait devenue écrivaine. C'est elle qui avait beaucoup insisté
pour que Maria suive l'enseignement de monsieur le curé, ce qui
n'était pas une évidence pour les enfants, et encore moins pour les
petites filles. Maria lui en sait gré et, dans les prières qu'elle
fait tous les soirs et qu'elle partage avec Luisa, elle ne manque
jamais d'évoquer la vieille dame avec qui il lui arrive de
converser ! C'est elle, pense Maria, qui lui conseille de partir
et de prendre son destin en charge. Sa grand - mère parlait toujours
avec regret des voyages qu'elle aurait aimés faire. Ils étaient peu
nombreux les émigrants en ces temps – là, mais il y en avait
quelques uns qui, baluchon sur le dos, partaient travailler ailleurs,
en France, en Suisse, en Belgique. Certains, plus téméraires,
osaient la grande traversée, parfois vers l'Afrique du nord ou, plus
courageux encore, vers l'Amérique. Un voyage incertain, de plusieurs
semaines, dans des conditions difficiles. De la plupart, on n'avait
plus de nouvelles. L'un d'entre eux avait, semble – t – il fait
fortune. Il avait envoyé au village une importante somme d'argent
pour restaurer la vieille église, chargeant le prêtre de l'époque
d'entretenir la tombe de ses parents et d'organiser un bon repas pour
les habitants du village, ce que l'homme d'église s'était empressé
de faire. Il avait profité de la fête de Maria, le quinze août,
pour réunir tous les habitants (ils n'étaient pas si nombreux !
) et leur préparer de fabuleuses agapes dont on parla durant des
années. Sa grand-mère lui avait énoncé le menu de multiples fois,
surtout quand elles avaient faim, de la charcuterie à profusion, du
pain pour tous, du brasato avec du riz parfumé au safran, du fromage
et un immense gâteau fabriqué par les femmes du village. Sa
grand-mère disait qu'ils étaient ensuite restés une semaine sans
manger tellement leur panse était pleine, mais que cet ancien
habitant avait envoyé une si grosse somme d'argent que le curé
avait pu acheter du tissu pour faire des vêtements aux enfants et
pour entretenir l'église pendant plusieurs années. Maria rêvait en
écoutant ce récit miraculeux. Elle aussi, si elle partait et
gagnait beaucoup d'argent, elle en enverrait au village, surtout pour
les personnes âgées seules et les enfants. Elle disait à sa
grand-mère qu'elle construirait une école, ce que sa nona
approuvait vigoureusement. Mais la vieille dame était morte sans
voir ce rêve réalisé. Sur son lit de mort, à quelques secondes de
pousser son dernier soupir, elle avait murmuré à sa petite-fille
qui pleurait :
— N'oublie
pas tes rêves et les miens, Maria.
Maria qui
considère ce jour comme le plus triste de sa vie, n'a pas oublié et
c'est la raison pour laquelle elle est décidé, avec ou sans Tonio,
de partir tenter l’aventure d'une vie ailleurs qui, se dit –
elle, ne peut être pire que celle qu'elle connait en ce moment.
Perdue dans
ces pensées, Maria ne voit pas que Luisa s'est doucement endormie,
blottie contre elle. Elle remonte les couvertures jusqu'à sa
chevelure qu'elle embrasse et plonge à son tour dans le sommeil. Les
journées sont physiquement fatigantes et le sommeil salutaire est
bienvenu.
Il fait frais
lorsque le jour se lève et ce n'est pas encore l'hiver ! Maria
se lève doucement en prenant garde de ne pas réveiller Luisa. Elle
se glisse hors du lit et se dirige vers l'évier de la salle. Elle
sort une bassine en émail qu'elle remplit d'eau dont elle s'asperge
d'abord le visage, puis courageusement avec un gant, elle se lave le
corps en frissonnant. Elle ouvre la porte de la petite maison et
arrose les quelques légumes qui poussent dans son petit potager.
L'eau est bien trop précieuse pour qu'on la gaspille. Elle remplit
une deuxième fois la bassine et la pose sur la cuisinière qu'elle
vient d'allumer pour qu'elle se réchauffe avant le réveil de Luisa.
La chaleur du feu permet également de préparer le petit déjeuner,
un brouet de céréales épais dans lequel elle rajoute pour sa
petite fille un peu de lait de chèvre trait la veille et quelques
gouttes de miel pour en adoucir l'âpreté. Elle vient de finir son
bol quand la petite Luisa, les yeux tout brouillés de sommeil, sort
de la chambre. Elle est toute jolie dans sa chemise de nuit de laine
que Maria lui a taillée dans une vieille chemise de Tonio qui n'en a
plus l'usage et qu'elle a parsemée de jolis nœuds de satin jaunes.
Un ruban de même couleur essaie de retenir sa chevelure rebelle.
— Luisa,
remets tes chaussettes. Tu vas prendre froid, s'exclame Maria tout
en posant sur les épaules de la petite fille un châle.
La petite
fille s'assoit en face de sa mère et plonge sa cuillère dans le
bol.
— C'est
bon. Pourquoi le tien n'a pas la même couleur que le mien ?
— Je t'ai
rajouté un peu de lait et de miel.
— Et toi,
t'aimes pas le lait et le miel ?
— Non, pas
trop.
Ce pieux
mensonge fait monter les larmes aux yeux de Maria. Elle se souvient
de sa grand-mère lui faisant la même réponse et elle, insouciante,
la croyant, tout comme Luisa.
— C'est bon
,pourtant !
— Oui, ma
chérie. Mange tout ton bol. Il commence à faire froid et cela
réchauffe. Quand tu auras fini, l'eau est tiède pour ta toilette.
Sitôt son
petit déjeuner englouti, la petite fille se laisse avec plaisir
laver et habiller par sa mère. Cela fait partie du rituel du matin,
comme la prière fait partie des habitudes du soir, avant de dormir.
Luisa sait que beaucoup de ses camarades se couchent et se lèvent
sans se laver ni se changer. La toilette, c'est au mieux une fois par
semaine. Les voisines chuchotent entre elles que Maria se donne bien
du travail à se laver et à doucher la petite tous les jours, à
avoir du linge pour la nuit et du linge pour le jour. On porte les
vêtements de tous les jours et, le dimanche pour aller à l’église
et les jours de fête, les beaux vêtements soigneusement rangés le
reste du temps dans un grand coffre où sont déposées toutes les
pauvres richesses des villageois. Les portes ne sont jamais fermées
à clé. Qu'y aurait – il à voler ?
Maria, suivie
de Luisa, sort dans la petite cour et commence par se rendre dans le
minuscule poulailler où quatre poules, quand elles le veulent bien,
leur donnent des œufs frais qui constituent une part non négligeable
de leur repas. Elles leur distribuent quelques miettes de pain
soigneusement conservées, des grains de maïs durs et des déchets
de pommes et de légumes. Les poules se précipitent en caquetant et
se jettent sur la nourriture éparpillée sur le sol. Maria vérifie
qu'elles ont de l'eau dans la vieille casserole cabossée qui leur
sert d'abreuvoir et referme soigneusement la cage. Elle ne veut pas
voir ses poules devenir la proie de quelques chenapans à la
recherche de nourriture, surtout que ses poules, Maria ne les a
jamais mangées. Elle ne peut s'y décider et celles qui ont disparu
sont mortes de leur belle mort. Maria les a alors offertes à des
voisins, incapables d'en faire son repas. Certes, elle sait que cela
est hypocrite car, quand le marché se tient, une fois par mois, elle
achète des morceaux de poulet ou de porc. Mais manger ses poules à
elle, qu'elle soigne, nourrit , caresse, à qui elle parle de temps
en temps, qu'elle a vu grandir. Non, décidément, elle ne peut pas.
C'est la même chose avec ses deux chèvres qu'elle trait, dont elle
file la laine en la leur ôtant le plus délicatement possible. Mais
elle n'en fera jamais un ragoût. Elle a d'ailleurs décidé de
donner ses bêtes à monsieur le curé quand elles partiront. Elle
lui fera jurer sur la croix qu'il s'en occupera et qu'il ne les
mangera pas. Il ne pourra pas faire un parjure après un tel
serment !
Elle décide
ensuite de se rendre dans la forêt voisine pour y ramasser des
glands puisque c'est la saison. Il ne semble pas se décider à
pleuvoir aujourd'hui, autant en profiter ! Elle pourra en faire
de la farine , après séchage, et des gâteaux. Si elles sont encore
là pour quelques mois, il faut qu'elle prévoie la difficile période
de l'hiver.
Le soleil est
haut dans le ciel quand elles reviennent, les joues rosies par l'air
frais et la marche. En passant devant la seule petite boutique du
village qui sert aussi d'auberge et de dépôt pour le courrier, la
tenancière l'aborde en criant son nom, une enveloppe à la main.
— Maria, tu
as une lettre de l'étranger. Elle pèse lourd mais elle ne vient
pas de New-York !
La curieuse
mégère a déjà regardé l'adresse d'envoi et soupesé
l'enveloppe. Elle ne l'a pas ouverte, mais l'envie la démange. Elle
la remet à Maria et reste là, la tête penchée sur son épaule,
attendant qu'elle l'ouvre. Maria la prend en remerciant et, sous
l'oeil ébahi et furieux de l'aubergiste, met le tout dans le gros
sac de toile qui contient leur cueillette du matin. Elle presse le
pas, traînant presque Luisa fatiguée de leur longue marche de la
matinée qui a été fructueuse car le sac est plein de glands, mais
aussi de châtaignes et le visage barbouillé de la petite fille
prouve qu'elle a mangé des mûres.
— Tu marches
trop vite, maman. Attends – moi.
Maria ralentit
un peu le pas, mais elle veut ouvrir la lettre seule, sans les yeux
curieux des villageois qui, avertis par la commère d'aubergiste,
paraissent attendre.Elle aussi est intriguée par la provenance de
la lettre. Elle reconnaît l'écriture appliquée de Tonio, mais a
rapidement regardé le cachet postal qui ne paraît pas provenir de
New-York où son mari est censé se trouver, ni même en anglais,
car elle a eu l'impression de vaguement reconnaître la langue
employée. Les mots « Buenos » et « Plata »
l'ont accrochée, mais elle n'a pas lu davantage, pressée de
dérober l'enveloppe à la curiosité de la mégère qui a du,
depuis la réception de la lettre, largement l'examiner sous toutes
les coutures. Il doit la démanger d'en connaître le contenu. Mais
l'opacité de l'enveloppe ne laisse rien filtrer. Enfin arrivée
devant sa petite masure, Maria en pousse la porte qu'elle referme
aussitôt. Elle installe Luisa sur une chaise face à un grand verre
d'eau fraîche et se laisse tomber, impatiente, sur la chaise en
face.
— C'est une
lettre de papa, annonce – t – elle à la petite fille assoiffée.
— On va
partir ? demande l'enfant. Elena m'a dit qu'on partirait quand
on recevrait une lettre de papa. C'est sa maman qui le lui a dit.
Les langues
vont bon train dans le village.Que de commérages doivent être
rapportés !
— Il ne
faut pas croire tout ce qui se raconte, Luisa. Papa nous a écrit
pour nous envoyer des nouvelles. S'il pense que c'est mieux pour
nous, il nous demandera de le rejoindre.
— Mais il
paraît que tu veux quitter le village. C'est Elena qui a entendu sa
grand-mère et sa mère en parler. Elle dit qu'avec ou sans papa, on
partira parce que tu ne te plais pas ici. Moi, j'aime bien Elena et
si on part, je ne la verrai plus. Je serai contente de revoir papa,
même si je m'en souviens pas trop, mais je serai triste de quitter
Elena.
— On verra,
ma chérie, la réconforte Maria tout en déchirant
précautionneusement la grosse enveloppe avec un couteau.
Plusieurs
feuillets sont couverts d'une écriture appliquée qu'elle
reconnaît. L'en-tête indique :
« Plata
de Oro, le 15 juillet 1899
Ma chère
femme, ma petite Luisa,
Je ne voulais
pas vous écrire avant d'être sûr de pouvoir vous envoyer de quoi
me rejoindre. J'espère que vous ne m'avez pas oublié, mais le
chemin a été long pour moi. J'ai débarqué à New-York il y a
plusieurs mois avec Giordano qui avait embarqué en même temps que
moi. Nous avons été triés comme du bétail à notre arrivée et
Giordano a été refusé d'entrer. Trop maigre, ont – ils dit. Je
suis parti seul dans la ville en lui promettant de revenir le
chercher. Il y avait des compatriotes qui attendaient le bateau, pas
tous fréquentables. J'ai rencontré un garçon qui venait de notre
région et je lui ai expliqué le problème de Giordano et ma
promesse. Il m'a dit que ce serait difficile mais qu'il essaierait de
m'aider. Il m'a hébergé dans sa chambre et j'ai travaillé quelques
semaines dans une boulangerie. Cela me plaisait bien, j'ai appris des
choses, mais je ne voulais pas abandonner Giordano. Je savais qu'ils
n'allaient pas tarder à le renvoyer. Mario, mon nouvel ami, m'a
expliqué qu'ils attendaient le prochain départ de gros bateaux pour
y remettre tous les refoulés, car il y en a pas mal.
Un soir ,
Mario est arrivé tout excité en me disant qu'il avait une
opportunité pour nous trois qu'il ne fallait pas manquer. Il m'a
expliqué que, le lendemain matin, à la première heure, partait de
New-York, un gros navire transportant des marchandises et des
voyageurs vers le sud de l'Amérique, l'Argentine m'a – t – il
précisé, où de nombreux italiens s'installent depuis quelques
années. Il y a des territoires vierges énormes, très peu
d'habitants et beaucoup de travail pour tout le monde. Lui était
décidé à partir. J'ai vite réfléchi. J'aurais voulu te demander
ton avis, mais c'était impossible, il fallait que je donne ma
réponse de suite. Nous avons rassemblé nos quelques affaires, cela
a été rapide vu le peu que nous possédons. Par l'intermédiaire
d'un docker du port, nous avons pu faire embarquer Giordano et nous
voilà tous les trois avec des dizaines d'autres compatriotes sur ce
grand bateau qui a pris la mer dès le lever du jour. Le voyage a
duré plus d'une semaine dans des conditions difficiles. Il y avait
des familles avec des femmes et des enfants, beaucoup de déçus ou
de refusés des États-Unis, des bien plus pauvres que moi car, avec
mon travail de boulanger, j'ai fait un peu d'économies qui m'ont
permis de me nourrir convenablement pendant cette traversée. J'ai
aidé aussi quelques familles dont les enfants décharnés mais
souriants me faisaient penser à notre petite Luisa qui me manque
tant, tout comme toi. Je me suis ainsi fait quelques amis.
La mer a été
plutôt tranquille, je n'ai pas souffert du mal de mer que j'avais
subi lors de ma venue à New York. Nous avons débarqué dans un
grand port, certes bien plus modeste que New York, mais à l'activité
importante. On n'a pas subi la séance humiliante du tri. Les
autorités nous ont accueillis avec sympathie car le pays a besoin de
main d'oeuvre, tant pour exploiter les immenses terres et y garder
les troupeaux que pour travailler comme artisans ou ouvriers dans les
ateliers et les usines qui poussent rapidement de partout.
Je n'ai pas
hésité. Je veux pour Luisa et toi une vie plaisante, heureuse, pas
perdue au bout du monde, mais avec des écoles, des commerces, des
rues, des maisons confortables. Giordano et Mario qui n'ont ni femmes
ni enfants, ont choisi de partir dans les terres, s'employant comme
gardiens pour commencer, mais avec la promesse de recevoir des terres
bientôt pour avoir leurs propres exploitations. Je t'ai dit que
j'avais en quelques semaines à New York appris le métier de
boulanger. C'est un travail qui me plaît. Ainsi on ne risque pas de
manquer de pain ! J'ai remarqué qu'il y en avait très peu dans
la ville de Buenos Aires où nous avions débarqué. J'ai repéré un
petit local, bien situé dans une rue passante. Avec les quelques
sous qui me restaient, je l'ai loué, j'y ai installé un pétrin et
un fournil récupérés dans une boutique qui avait fermé à la mort
de son propriétaire. Avant de partir pour le sud du pays, Mario et
Giordano m'ont aidé à l'aménager : on y a installé un
comptoir, quelques étagères et, dans l'arrière-boutique, une
petite cuisine et une chambre. Je n'y suis que depuis trois mois et
cela marche bien. Je crois qu'on peut s'installer tous les trois dans
une nouvelle vie. Tu vois, j'ai déjà gagné assez d'argent pour
t'envoyer deux billets pour le bateau, que tu trouveras dans
l'enveloppe et que j'ai payés à la principale compagnie maritime
qui fait les traversées de Gênes jusqu'à Buenos Aires directement.
Ils m'ont expliqué qu'il te suffit d'aller dans leurs bureaux du
port de Gênes. Ils t'indiqueront les prochains bateaux en partance
et tu choisis celui qui te convient. Mais ne tarde pas trop, ma Maria
chérie. Tu me manques et je t'attends avec impatience. Dans la
petite enveloppe cachée dans la lettre, je t'ai envoyé de l'argent,
pour que tu puisses préparer votre voyage et peut-être rester
quelques jours à Gênes dans l'attente d'un bateau . Ne
t'inquiète pas, tu ne seras pas seule. Il y a plusieurs compatriotes
qui font venir leurs femmes et leurs enfants.
Je t'attends
avec impatience. Je ne sais pas quand tu recevras cette lettre. Mais
si on pouvait commencer le nouveau siècle tous les trois ensemble,
ce serait un vrai bonheur. Tu pourrais arriver avant Noël, ce sera
l'été ici, car les saisons sont inversées.
Je t'embrasse,
ainsi que ma petite Luisa. Ne perds pas ton temps à essayer de me
répondre à l'adresse que j'ai indiqué au dos de mon courrier .
Notre boutique est près du port et à partir du mois d'octobre,
j'irai à toutes les arrivées de bateaux de Gênes pour vous
accueillir.
Ton
Tonio »
Il
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