vendredi 29 janvier 2010

Un petit extrait pour vous donner envie de lire ...plus




II                                        2 AOÛT 1990

    Un nuage de poussière entourait le grand taxi qui montait la route qui menait au village.Fatiha qui attendait depuis le matin espérait que ce serait celui qui amènerait son père.Elle se précipita mais elle ne vit descendre que des villageois encombrés de couffins d'osier,de grands sacs qui revenaient de la ville ou d'un souk proche..Elle s'approcha pendant que le chauffeur finissait de vider le coffre d'un chargement de marchandises destinées à la petite épicerie locales:conserves,boissons,surtout du Coca-cola et du Fanta,un baril d'olives,des bouteilles d'huile,des boites de thé vert,des pains de sucre,quelques boîtes de lessive que les femmes utilisaient lors de la lessive hebdomadaire au bord du ruisseau.Fatiha était encore trop jeune pour battre le linge mais elle aimait accompagner sa mère:toutes les femmes du village y allaient le même jour,on échangeait des nouvelles,on se disputait,on travaillait certes dur,mais on riait aussi,les hommes étaient exclus de cette corvée et c'était un des rares moments livrés aux femmes seules.Quand il faisait beau et chaud,cela devenait presque agréable,l'eau était fraîche,Fatiha,ses amies mais aussi leurs mères,leurs tantes et même les vieilles femmes s'aspergeaient comme des enfants.Depuis quelques mois,sa mère lui demandait de l'aider plus activement,en particulier pour essorer le linge,elles se mettaient chacune d'un côté et tordait le linge pour lui extraire le maximum d'eau,et ensuite elle l'étendait sur les buissons.Les vêtements formaient des taches colorées dans le paysage.Un jour,Fatiha avait été étonnée de voir un étranger,un des rares touristes qui montaient jusqu'au village prendre en photo le linge qui séchait.Elle s'était approché de lui curieuse et lui avait demandé ce qu'il faisait.Il parlait un peu arabe et lui avait expliqué que cela ressemblait à un jardin multicolore,à un tableau coloré.Elle n'avait pas compris tout ce qu'il lui disait,mais à partir de ce jour-là,elle s'arrêtait parfois de jouer dans l'eau,s'éloignait un peu et,fermant à demi les yeux,regardait les pièces de linge étendues en imaginant un beau jardin ou une belle photo comme le maître leur montrait parfois dans des livres ou des journaux qu'il possédait.
    Elle demanda au chauffeur qui buvait un thé avec l'épicier avant de repartir et espérant peut-être d'éventuels clients s'il n'avait pas vu son père.
"C'est qui,ton père?"lui demanda-t-il en riant.
"C'est....Abdellatif.Il doit arriver aujourd'hui.Il est grand,bien habillé.Il arrive de France et il a plein de choses pour nous."
"En ce moment,il y a des milliers d'hommes qui arrivent de France avec plein de cadeaux et de paquets."
Devant l'air déçu de la fillette,il ajouta:
"Tu sais,mon taxi était plein,mais il y avait plusieurs hommes qui attendaient à la gare routière.Il sera certainement dans le prochain taxi.Ne t'inquiète pas."
Elle ne s'inquiétait pas,Fatiha,elle avait confiance en son père,elle était simplement impatiente de le voir ...et un peu aussi de voir les surprises qu'il ne manquait pas de ramener chaque été.L'an dernier,il lui avait offert une magnifique poupée qui faisait pâlir d'envie toutes ses copines.Les jouets étaient rares dans le village et souvent les pères qui revenaient préféraient des cadeaux plus utiles pour la maison ou qui pouvaient se vendre facilement.Son père,lui,avait toujours dans ses valises un petit quelque chose pour elle,rien que pour elle,inutile mais tellement précieux.Son frère se moquait d'elle,sa mère trouvait qu'il la gâtait trop.Seule sa grand-mère l'approuvait.Elle lui disait:
"Il me rappelle mon père,mais à une autre époque,on avait si peu de liberté!!!"
    Fatiha retourna à la maison où sa mère s'affairait dans l'attente de l'arrivée de son mari.Cela faisait plusieurs jours qu'elle nettoyait la maison de fond en comble,lavait les tapis,sortaient matelas et coussins.Depuis quelques jours,elle s'affairait à la cuisine,préparant des gâteaux,des dattes,faisant sécher des herbes ou mariner des viandes.Depuis trois jours,elle s'occupait d'elle comme toutes les femmes du village dont l'époux devait arriver.Fatiha les voyait préparer des pâtes qu'elles s'appliquaient sur le corps,les cheveux,le visage.C'était l'occasion de réunions chez les unes et les autres,de chuchotements et de rires entre elles.Sa mère avait teint ses cheveux au henné,leur donnant un beau reflet roux,surtout au soleil.Elle s'était épilée le corps et le visage avec un mélange de sucre et de citron,elle avait agrandi son regard avec la poudre de khôl et dégageait un agréable parfum de rose et de fleur d'oranger.C'est vrai qu'elle était belle,Souad;pas très grande,elle était très blanche de peau avec des yeux presque verts,surtout quand elle était en colère.Elle s'était un peu arrondi ces dernières années,mais n'ayant eu que deux enfants,son corps était resté ferme et elle avait une démarche gracieuse dont les longues robes berbères qu'elle choisissait avec soin même lorsqu'elle travaillait à la maison ou aux champs accentuait le balancement et l'harmonie.Fatiha admirait sa mère et l'enviait,elle qui avait hérité de son père des cheveux et des yeux noirs et une peau mate.Elle avait aussi sa haute taille et son corps nerveux et sec.Sa dada lui disait qu'elle serait encore plus belle,adulte,et qu'elle vieillirait bien mieux,ce  dont Fatiha se fichait complètement.Vieillir?C'était loin,très loin,irréel.En attendant ,elle aurait bien aimé ressembler à sa mère,être moins grande,moins maigre,avoir des yeux clairs et le teint clair de sa mère qui était aussi pâle que la poupée que son père lui avait ramenée de France.

    La poussière annonçait l'arrivée d'un véhicule.Un grand taxi beige!!!Mais oui,c'était bien son père.Ils étaient trois dans le taxi dont le coffre fermait difficilement avec un vieux tendeur bleu.D'habitude,son père prenait un taxi pour lui tout seul ,il avait tellement de choses à rapporter,pour elle,pour son frère,pour sa mère,pour sa grand-mère et même pour les voisins et autres habitants du village!!!Pourquoi cette fois-ci,partageait-il son taxi avec deux autres personnes?La joie de revoir son père lui fit vite oublier ce fait.Sa curiosité aussi...Elle ne connaissait pas les deux compagnons de son père,un homme de son âge,plutôt petit,un peu rond,souriant dès sa descente du véhicule et un garçon,un peu plus âgé qu'elle,qui semblait traîner les pieds et plutôt renfrogné...En tous les cas,ce n'était pas des gens du village,elle les connaissait tous,ils avaient plutôt l'air d'amis de son père,du moins le plus âgé.Elle se jeta en riant et criant dans les bras de son père,bousculant au passage sa mère et son frère qui essaya de lui envoyer un grand coup de coude mais la rata.Son père la souleva de terre en lui disant:
-Mais tu es presque une jeune fille,maintenant!!!et même un peu lourde,rajouta-t-il en la posant par terre.
Il se tourna vers ses deux compagnons et leur dit:
-Bienvenue chez moi et donc chez vous.
C'était une formule  consacrée dans la famille quand on recevait des invités,mais c'était sincère.
Abdellatif prit son ami par le bras et le mena vers la maison.
-Qu'est-ce que je fais des bagages,demanda le chauffeur de taxi,pressé de repartir vers de nouveaux clients.
-Je t'ai payé assez cher et tu m'as assez volé pour que tu les sortes de ta vieille guimbarde.J'envoie mon fils les chercher,répondit son père en se dirigeant vers la maison,toujours au bras de son ami.
Ils entrèrent tous dans la maison que l'obscurité maintenait dans la fraîcheur.Contrairement à la plupart des gens du village,Abdellatif tenait à ce que sa femme et sa fille participent aux repas et à toute la vie sociale de la maison.Fatiha pensait que sa grand-mère avait dû diplomatiquement participé à cette attitude.Mais elle s'en réjouissait surtout quand elle voyait ses amies écartées des repas,des discussions et les amies de sa mère lui raconter leur mise à l'écart de toutes décisions.Malgré toute la joie de retrouver son père et pas seulement à cause des cadeaux qu'elle savait lui avoir apportés,elle lui trouvait aujourd'hui un air différent ,à la fois gêné et satisfait.Bof,n'y pensons plus.Profitons de ce délicieux repas,des gâteaux préparés par sa mère et sa grand-mère,du thé parfumé et même du coca-cola qu'elles avaient acheté pour célébrer ce jour de fête.




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