samedi 23 janvier 2010

LES GENS D'AILLEURS


   
        HISTOIRE ,GÉOGRAPHIE ET SOUVENIRS D'ELCHE

ELCHE est une ville espagnole dans la région de Valence et dépendant de la province d'Alicante.Elle est célèbre pour le buste de "La dame d' Elche", statue d'esthétique héllénique datée du -Vème siècle avant J-C, et pour son immense palmeraie.
    Si j'admire la "Dame d' Elche"(j'en aime l'appellation un peu mystérieuse),le souvenir que j'ai d'Elche date de mon enfance.
    Un jour que nous visitions la ville , je m'étonnais de la présence de cette palmeraie en Espagne , moi pour qui palmeraie équivalait à Marrakech . Mon père , très sérieusement , me dit :"Quand les Arabes ont dû quitter la ville , ils ont chacun laissé une graine de palmier avant de partir . Ainsi est née cette palmeraie !"
J'imaginais la scène de ces gens fuyant et enfouissant chacun une graine de palmier pour mémoriser leur longue présence dans la ville . J'ai ensuite connu la réalité historique de cette palmeraie qui est en effet l'oeuvre de la période musulmane de la ville mais qui fut plantée bien avant le départ des arabes . Conservée  , elle est aujourd'hui classée au Patrimoine Mondial de l'Unesco. Mais , j'ai toujours gardé cette image ... écologique avant l'heure.

   
        ELCHE(ESPAGNE) - année 1265 (663 de l'Hégire)
       
                                                    Je regardais le soleil se coucher derrière la palmeraie . Il fallait partir . Mon père nous avait prévenus . Ma mère Aïcha pleurait , et , mêlant larmes et cris , entassait dans des coffres ce qu'elle ne voulait pas laisser , tout en houspillant les domestiques , Maria , Louisa , ma nourrice , et aussi mes petites soeurs , Nadia et Soraya . Mon père avait beau lui dire qu'on ne pourrait pas emporter grand-chose , elle n'entendait rien , ne voulait rien ècouter . Elle disait à qui voulait l'entendre , (mais qui l'écoutait ?) qu'elle était née ici , tout comme son père et son grand-père et plus loin encore... D'ailleurs , ne disait-on pas qu'ils étaient des "elches" , des chrétiens qui , il y a longtemps , très longtemps , s'étaient convertis à l'islam .
- Ne peut-on pas rester ? Où va-t-on aller ?
    Son frère qui habitait Alicante avait pris la décision de rester .
- Oui , lui , il reste , répondait-mon père . Mais il est marié à une Chrétienne . Ce sera plus facile pour lui !
- Mais où va-t-on aller ? répétait-elle .
- J'ai des places sur un bateau de pécheurs qui traversent la mer , vers le royaume almohade . J'y ai des relations avec des marchands avec qui je commerce . On m'a parlé de Fès où un certain nombre d'entre nous se sont déjà installés .
    Ma mère se lamentait , protestait , implorait . Mais mon père était inflexible . On prenait ce qu'on pouvait emporter , le plus précieux , et on partait , vite avant que les soldats chrétiens ne s'emparent de la ville.
    Certains de nos amis ou de nos voisins venaient nous voir . Chacun discutait , palabrait . Les avis et  les décisions variaient . Les plus nombreux  se préparaient à partir vers le sud , les uns au delà des mers comme nous , d'autres vers Grenade , toujours musulmane : ils refusaient  de quitter leur terre natale , l'Espagne , Al Andalus de leurs ancêtres , espérant revenir peut-être un jour dans leur ville .
    Les moins nombreux , et souvent les plus pauvres , avaient choisi de rester , espérant pouvoir conserver leur peu de bien et , peut-être , leur religion . De cela , mon père doutait .
    Quelques-uns , conjoints de chrétiens qui refusaient de partir , essayaient de faire comme s'ils  ne risquaient rien ou pas grand-chose .
     Les familles juives étaient partagées . Elles hésitaient , ne sachant quelle était la meilleure solution , tiraillées entre les arguments des uns et des autres . Un grand nombre d'entre elles nous suivaient dans l'exil , nos voisins en particulier . Ma mère pour qui retrouver Hannah , son amie de toujours , à Fès , était une petite consolation , s'en réjouissait .
-On ne sera pas complètement isolé chez ces étrangers . On va même pouvoir faire le voyage ensemble , Hannah , lui disait - elle .
    Le chemin de l'exil est toujours une route que l'on préfère partager


    Et moi,qu'allais-je décider ? Je venais d'avoir 20 ans et ,  depuis l'âge de 14 ans , j'étudiais la médecine avec un praticien installé en ville depuis quelques années et qui avait fait ses études en Orient , d'où il avait ramené des ouvrages indiens , perses, et même chinois . Il s'était aussi rendu  en Occident , à Salamanque , à Montpellier , à Toulouse . Il se disait disciple d'un médecin que les Arabes appelaient Ibn Sina et les Chrétiens , Avicenne . Il m'avait initié à ses théories et je commençais à avoir une certaine réputation dans la ville : on faisait de plus en plus souvent appel à moi pour soigner quelques maux pas trop graves.
    Mon maître avait choisi de rester à Elche .
- Les hommes ont toujours besoin d'un médecin , surtout pendant les guerres , après les batailles . Notre rôle est de soigner , sans regarder d'où vient celui qui souffre . Je suis trop vieux pour partir . Je ne me vois plus sur les routes .
- Et si les Chrétiens t'obligent à renier ta foi ?
- Je crois en Dieu , quelque soit le nom qu'on lui donne .Et , j'aimerais tant croire en l'Homme ... Mais toi , tu es jeune et vigoureux . Tu devrais partir ,  voir le monde , étudier . Il y a des universités célèbres , loin , au-delà des mers .

    Je réfléchissais , j'hésitais . Je n'avais jamais aimé faire comme les autres.
    Rester ? C'était risquer l'humiliation , peut-être même la prison ou la mort . Je n'étais pas un martyr , je n'avais pas envie de mourir , je voulais vivre , voir le monde , connaître les autres  .
    Partir avec ma famille ? C'était rester dans le cocon de la maison , voire abandonner la médecine pour devenir commerçant comme mon père et ses frères . Je n'avais pas suffisamment de connaissances pour m'établir comme médecin , j'avais encore tellement de choses à apprendre .
    Le disque d'or finissait sa course derrière les palmiers . Il jetait ses derniers rayons et embrasait la palmeraie . Tant d'hommes l'avaient admiré ou craint , aimé ou haï . Je le regardais quand tout à coup la vérité m'apparut , toute simple , évidente , lumineuse : j'allais partir ... oui ... Mais  prendre un autre chemin d'exil , partir vers le Nord , vers les royaumes chrétiens , les traverser , franchir les montagnes dont mon maître m'avait parlé . Ces montagnes pendant longtemps ont constitué la frontière et le monde chrétien et le monde musulman.
    J'allais rejoindre le royaume des Francs et me rendre dans une ville qu'il m'avait souvent citée comme possédant une grande université où l'on enseignait l'histoire , la géographie , la philosophie , l'astronomie , les mathématiques , la musique , la médecine et bien d'autres sciences . Il y avait de grandes bibliothèques . Dans ce collège que venait de fonder un prêtre du nom de Sorbon , on l'avait bien accepté lui , l'étranger , comme étudiant , mais aussi comme enseignant . On m'accepterait moi aussi comme étudiant . Peut-être , pourrais-je leur apporter des connaissances nouvelles et surtout apprendre . Les sciences , m'avait enseigné mon maître , n'ont pas de frontières , pas de religion et sont basées autant sur l'expérience que sur   l'apprentissage et les échanges entre les hommes .
    J'avais pris ma décision .  Il me restait à l'annoncer à ma famille , à ma mère surtout . J'entendais ses lamentations,  ses pleurs , ses arguments aussi .
    -Partir là-bas ! Chez les Francs ! Ce sont des régions de sauvages , sans civilisation , sans foi ni loi !
    Elle n'y était jamais allée , mais elle savait , affirmait-elle . Elle avait entendu  son grand-père dont le père avait fait un voyage au-delà de ces montagnes qu'on appelle les  Pyrénées . Il y vivait des gens qui non seulement n'avaient pas la même foi ( cela me ne paraissait pas si important) , mais aussi qui ignoraient la poésie , qui étaient vêtus de peau de bêtes , qui vivaient dans des cabanes de bois , qui ne se lavaient pas , se battaient violemment et qui , son grand-père le lui avait raconté maintes fois , ne connaissaient pas la médecine , coupaient jambes et bras sur les champs de bataille à leurs propres soldats quand ceux-ci étaient blessés,sans même les endormir...
    "Justement ,  lui répondis-je , je pourrais leur enseigner les savoirs que mon maître m'avait transmis ." 

Il m'avait dit , aussi , que dans les villages et plus particulièrement dans des lieux appelés monastères , où vivaient des religieux et des religieuses , des femmes et des hommes connaissaient les vertus des plantes , des simples et préparaient des lotions , des onguents , des cataplasmes qui soignaient , qui soulageaient . Je rêvais d'apprendre et d'échanger des connaissances...
    Nos religions différentes ? J'en balayais l'argument . Mes ancêtres lointains n'étaient-ils pas des Chrétiens , de ces Wisigoths qui , il y a des centaines d'années , s'étaient installés en Espagne ? Ne racontait-on pas , dans la famille de mon père , l'histoire de cette grand-mère si belle qui était juive ? Quelle importance , ces pratiques religieuses différentes ? Je partirais.


 BANLIEUE PARISIENNE - 2010

                " Les informations de 7 heures.
Nuit d'émeutes dans certaines cités de la banlieue parisienne à la suite d'une poursuite entre jeunes et policiers . Bilan : 3 blessés graves dont un policier et une dizaine d'arrestations dont 4 mineurs .
    Au Proche-Orient , regain de tension : Palestiniens et Israëliens semblent dans l'impasse malgré les efforts de conciliation des missions américaine et européenne .
    Grève sur la ligne 4 du métro après l'agression d'un contrôleur .
    La météo aujourd'hui : le printemps s'annonce timidement , autour de 12°dans le nord , de 14 à 16° dans le Sud . Notre prochain flash à 7h30 " .

    Je me retournais dans mon lit : il fallait que je me lève . Je devais être au magasin avant huit heures trente . Il fallait remplir les rayons avant l'ouverture . J'avais travaillé tard hier au soir . Les cours du soir m'imposaient un rythme que j'avais parfois du mal à tenir .
    J'avais téléphoné à mes parents avant de m'endormir . J'avais beaucoup parlé avec ma mère . Mon père se couchait tôt : le travail à l'usine l'avait prématurément usé et il était souvent fatigué . Ma mère m'avait parlé de leur voyage prochain au pays . Mon père aurait aimé repartir y vivre , mais elle voulait rester avec ses enfants , surtout mes petits frères qui ne travaillaient pas et qu'elle essayait de surveiller , tant bien que mal . Et puis moi , je n'étais pas mariée , à 23 ans , elle se désespérait ...
    Je me levais , j'avais fait un drôle de rêve . Elche ! C'est vrai que j'avais lu  hier soir un article sur la Dame d'Elche , dans le cadre d'un cours sur l'Antiquité Méditerranéenne . C'était étrange , ce rêve ...
    Le téléphone sonne . Je décroche .
-Allo  , Aïcha ? Salut , c'est Mina ! ça va ? Tu as l'air bizarre !
- Non , ça va ! J'émerge !

    Les choses n'ont guère changé , les migrations des hommes se poursuivent , flux et reflux  provoqués par la misère , les guerres , l'intolérance . Le progrès ne profite qu'à certains et en laisse beaucoup sur le bas-côté , beaucoup trop !
    Comprendra-t-on un jour?
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