lundi 8 février 2016

ENTRECHATS SUR FACEBOOK






Comme tous les soirs, avant de m’endormir, je consulte mes mails et ma page Facebook. On ne sait jamais quel événement important peut se produire… Je me demande lequel d’ailleurs !!! Enfin, curiosité …ou addiction ?

Tiens, une demande d’ami,  Leo Mouch. Bizarre, ce pseudo. 
Je clique pour voir le profil. Pas grand chose… Une photo de lion dans la savane, une page intitulée « J’aime les tigres », avec quelques images de tigres dans la jungle, au repos ou en pleine course.
Curieuse comme toujours mais également réticente à accepter des amis inconnus, je regarde « À propos ».
Peu d’informations, naissance sans date, « à Paris sur les toits », précise l’auteur. Encore un original ! Études , « autodidacte », ce qui veut tout dire, centres d’intérêt, « moi, toi et un peu les autres ».
Décidemment, étrange comme profil !
J’ai pourtant envie d’en savoir plus. Je me rends sur son journal. Pour le consulter, il faut que j’accepte d’abord son invitation. Intriguée malgré tout, je me dis que, si son contact me déplaît, je pourrai toujours le bloquer ensuite.
Donc, clic « Confirmer ». J’attends quelques minutes et je retourne sur son journal. Là, surprise ! Je me vois en photo,  sous toutes les coutures, chez moi, en vacances, en ballade, dans mon lit. Un vrai délire que je ne comprends absolument pas. Il faut que j’en sache davantage sur cette intrusion dans ma vie privée et quotidienne. Je constate qu’il est connecté. Je vais lui écrire et lui poser quelques questions précises et pertinentes. Quel est donc ce voyeur qui semble me connaître au point de publier des photos de moi ?  Je les reconnais, elles sont dans mon ordinateur. Lumière ! Je comprends, j’ai été piratée par un pervers psychopathe, sans nul doute.

Je m’apprête cependant , avec une curiosité malsaine, à entamer le dialogue via Messenger quand, un petit éclair m’annonce qu’ il m’a devancée.

-Bonjour, ou plutôt bonsoir.

Avant que je ne lui réponde, décidée à le soumettre à la « question », il poursuit :

-Comment vas-tu, ce soir ?

De plus, il me tutoie…Non, mais, quel culot ! On n’a pas gardé les oies, ni quoique ce soit d’autre, ensemble. Ou j’ai oublié cet épisode !

-Ta journée n’a pas été trop fatigante ? Et la réunion avec les responsables de province s’est-elle bien passée ?

Ébahie, je ne lui réponds pas. Mais comment est-il au courant ? Non, ce n’est pas possible ! Ou plutôt, si. Quelqu’un que je connais se cache sous ce pseudo bidon et me fait marcher. Au fait, à qui ai-je parlé de cette réunion qui s’est décidée en catastrophe la veille ? À pas grand monde, me semble-t-il ! Si je réfléchis bien, à personne, puisque j’ai été avertie hier soir par un appel téléphonique chez moi. Je ne suis pas sortie ensuite, je n’ai appelé personne, ayant passé la soirée à marmonner toute seule contre cette information tardive et à préparer cette satanée réunion. 

Non, mais j’y pense ! C’est un collègue qui me fait une farce ! Lequel ou laquelle ? Mon adjointe ? Elle n’oserait pas… Encore que… cachée derrière l’anonymat de Facebook ! ! Mais je ne crois pas. On a fini tard ce soir, elle s’est dépêchée de rentrer chez elle car elle avait peur d’être en retard à la crèche pour récupérer son fils qui avait été déposé un soir au commissariat de police par la directrice du centre de garde furieuse d’avoir dû attendre trente minutes. C’est devenu sa terreur et le moindre retard la met dans des états pas possibles. 

Je n’ai pas d’enfant, mais je la comprends. Je n’aime pas rentrer tard à la maison et laisser mon chat tout seul. Je sais, on ne peut pas comparer.  Mais  j’ai alors l’impression de l’abandonner . Je pense parfois qu’il me le reproche. Il me semble voir dans ses yeux verts de la colère, qu’il manifeste en mettant un certain temps avant de venir me voir. Pour l’approcher, il faut que je l’appelle tendrement, que je lui explique les raisons de mon retard, oui, je sais, c’est ridicule….mais je me dis que personne ne me voit. Au bout d’un certain temps, il se décide à se lever, à s’étirer et à venir me saluer d’un feulement d’abord mécontent, avant de se frotter affectueusement contre mes jambes. C’est bon, on a fait la paix, on peut passer une soirée tranquille. 

Il est vrai, que, quand j’y pense, il est un peu exclusif, mon chat. Il n’accepte pas facilement mes amis, surtout les hommes. 

Toutes ces tergiversations sur mon beau matou ne résolvent pas le problème de l’identité de mon « nouvel ami Face Book» qui semble connaître bien des choses sur ma vie.
Je profite d’un « silence » de sa part pour glisser une petite phrase :
-On se connaît ?
Réponse immédiate :
-Oui. 
-Depuis longtemps ?
J’ai l’impression de jouer au jeu du chat et de la souris.
-Un certain temps.
-Mais on ne se voit plus ?
Silence !
-Je pense que vous avez piraté mon ordinateur dans lequel vous vous êtes procuré toutes mes photos. C’est un délit et je suis prête à porter plainte !
-Pas du tout. Ces photos sont disposées chez toi. Tiens, comme celle où tu es dans un jardin, entourée de bougainvilliers, d’hibiscus et d’orchidées.
Je me tourne vers la commode en pin blond installée près de la fenêtre de ma chambre. La photo décrite y est posée. Je souris dans ce jardin tropical de La Réunion où j’avais passé trois semaines l’hiver dernier.
-C’était bien, La Réunion ? Tu as beaucoup aimé, semble-t-il ! Mais tu es restée longtemps ! Trois semaines, n’est-ce pas ?
D’où tient-il ces informations ? Je réfléchis. J’ai parlé de ce séjour à tout mon entourage. N’importe laquelle de mes relations peut être au courant. Je ne suis pas plus renseignée sur l’identité de mon « ami ». Il faut que je continue mon interrogatoire car cette intrusion dans ma vie privée me déplaît fortement.
Il reprend la « conversation ».
-Tu avais parlé d’y retourner avec…Comment s’appelait-il déjà ? Le grand brun ! Tu sais, celui qui venait te rendre visite, parfois le week-end. Que lui est-il arrivé ? On ne le voit plus depuis un certain temps.
Jean-Michel ! Il a disparu, un jour, sans crier gare.  Nous nous entendions bien cependant. Quand je l’ai contacté pour lui demander la raison de son brutal silence, il m’a répondu que certaines photos étaient suffisamment éloquentes.  Étonnée, j’ai demandé de quelles photos il parlait, il a raccroché après avoir sèchement répondu : « Devine ». Je n’ai toujours pas compris. Depuis, plus de liaison durable. Il faut dire que mes dernières relations se sont plutôt mal terminées. J’ai parfois l’impression de jouer de malchance !
François, mon ami précédent,  a été renversé par une voiture en sortant de chez moi. Personne n’a compris la raison pour laquelle il s’est littéralement jeté sous l’autobus qui emprunte ma rue. Sa survie a tenu du miracle. Il est reparti vivre chez ses parents.
Vincent est tombé dans l’escalier en sortant de chez moi sans que l’on sache sur quoi il avait buté. Une très vilaine fracture du pied l’a laissé handicapé.
Puis ce fut le tour de Paul qui, se penchant à la fenêtre, a perdu l’équilibre et n’a dû sa survie qu’à un véritable miracle en se raccrochant à la balustrade du balcon de ma voisine.
Mon interlocuteur interrompt le fil de mes pensées.
-Vincent, François, Paul et les autres ? Le nom du dernier me revient. C’est Jean-Michel, n’est-ce pas ? Ils n’ont pas eu de chance, vraiment. Quant à Jean-Michel, quel sale curieux ! Regarder tes photos de famille. En fait,  tu te promenais simplement avec ton cousin !
Je ne comprends plus grand-chose. De quoi parle-t-il ? Que sait-il de ma vie ? J’ai l’impression de vivre un cauchemar. Mais qui me surveille ? Je regarde mon ordinateur d’un œil soupçonneux. Cette machine ? Ou Facebook ? Allons, ma vieille, réagis et réfléchis. On n’est pas dans un film de science-fiction. Il doit y avoir une raison logique. Le Big Brother, c’est juste dans les livres et les films. Peut-être qu’un inconnu pénètre dans mon appartement quand je n’y suis pas ! Qui a les clés ? Ma concierge ! Non, c’est une vieille dame en qui j’ai confiance. Grimper les trois étages qui mènent chez moi n’est guère envisageable pour elle. Elle se contente de rester dans sa loge, de nous saluer en donnant le courrier et d’attendre les étrennes. Je ne la vois pas fouiller dans mes affaires, d’autant plus qu’elle a une phobie des chats dont elle m’a souvent parlé. Je n’ai pas de femme de ménage et aucun ouvrier n’est venu effectuer de réparations dans l’appartement depuis mon emménagement il y a bientôt quatre ans.
Alors qui ? Je passe en revue mon entourage. Ma meilleure amie ? Ma cousine ? Mon grand copain d’enfance ? La serveuse du petit restau chinois du coin ? La caissière du supermarché du quartier ? Non, stop ! Je deviens parano. Je dois réfléchir sereinement et logiquement. J’en reviens à une « cyber attaque »….Je sais, le mot est un peu fort. Je ne suis qu’un lambda sur Facebook, sans intérêt particulier, peu capable d’intéresser un hacker… mais avec tous les fous qui se promènent dans la rue ou sur les réseaux sociaux. Si c’est vraiment un pro de l’informatique, comment m’en débarrasser ? Il a dû infecter mon ordinateur. Je vais devoir en changer. Financièrement, cela ne m’arrange pas vraiment en ce moment. Mais, tant pis, je me débrouillerai. Mais si c’est un vrai pro des « cyber-attaques », il va me retrouver. Je me sens perdue. A qui puis-je m’adresser pour trouver de l’aide ? Mon cousin, celui dont mon « ami Facebook » me parlait, est un excellent informaticien. Je vais le contacter et lui exposer mon problème. Il va m’aider. Je vais lui envoyer un mail, non lui téléphoner. C’est plus prudent au cas où mon ordinateur soit infecté. Son numéro, où l’ai-je mis ? Je cherche dans mes contacts.
-Cousin, cousin ! A quel nom t’ai-je mis ?  Frédérique ? Cousin ? Moret ?
Voilà que je parle toute seule.
Ting ! Un message.
-Tu le trouveras dans le groupe Famille. Tu as oublié ?
Je regarde, ébahie, l’écran où s’affiche le message de Leo Mouch. Mécaniquement, je vais dans le groupe Famille de mes contacts et j’y trouve « Cousin Frédérique ».
Je me mets à fixer mon ordinateur d’un œil inquiet et soupçonneux. Il y a vraiment quelque chose qui ne va pas ! Cette machine m’espionne. J’ai l’impression qu’elle lit dans mes pensées. Je suis en plein cauchemar. Je ferme les yeux.

Il fait frais, je frissonne et cette sensation de froid me réveille. Je me suis endormie avec l’ordinateur éclairé sur mon lit, lumière blafarde, mais rassurante. 

Tout cela n’est qu’un mauvais rêve. 
Promis, finie la consultation d’internet, de mes messages, de mes mails et de Facebook le soir, dans mon lit, avant de m’endormir. 
Cet épisode angoissant me perturbe encore. Je vais revenir à la lecture d’un bon livre classique, bien calée dans mes oreillers.

-C’est plus sage, n’est-ce pas, Leo ?, dis-je en m’adressant à mon chat, installé au pied de mon lit.
Il semble approuver, en plissant ses yeux verts.
Ma nuit se termine plus paisiblement. Le lendemain, j’ai pratiquement oublié ce mauvais rêve. Je me prépare rapidement, avale en vitesse un café et me dirige vers la porte, quand un miaulement me rappelle à l’ordre. J’ai oublié de donner à Leo son bol de lait et ses croquettes.
-Désolée, mon grand. J’ai eu une nuit agitée.
Il me regarde et j’ai l’impression qu’il sourit ironiquement.
Décidemment, j’ai trop d’imagination. Je verse le lait dans sa tasse et remplit sa gamelle de croquettes. Il les regarde et se détourne.
-Oui, je sais, je n’ai pas trouvé ta marque. Je t’en rapporterai ce soir. Après tout, si tu as faim…
Il me tourne le dos et va s’installer sur mon fauteuil qui est devenu le sien maintenant.
-Je dois y aller. A ce soir !
Je claque la porte, dévale les escaliers en négligeant l’ascenseur comme le recommandent toutes les revues féminines. Dans la rue, je jette un coup d’œil sur ma fenêtre, j’y vois Leo qui semble me surveiller et disparaît. Mon téléphone vibre. Je décroche sans regarder le numéro d’appel.
J’entends une voix bizarre qui me dit :
-Tu ne rentres pas tard ce soir ! Surtout après la drôle de soirée que tu as passée…


J’écarte le téléphone de mon oreille et regarde le numéro d’appel. C’est mon numéro. Je lève les yeux et vois Leo qui semble me faire un petit signe de la patte…
 

samedi 6 février 2016





Mon petit ange,


Je pense souvent à toi, le petit ange parti si brusquement et beaucoup trop tôt, avant même d'avoir commencé à essayer de vivre !

A priori, tu n'es ni mon enfant, ni ma petite-fille, juste le bébé de ma jeune voisine, que j'ai vu naître et surtout sourire depuis sa naissance.

Je t'ai vue grandir dans le ventre de ta maman, dont j'osais parfois effleurer le ventre, comme on le fait si souvent, je le faisais timidement, tant ce geste me paraît intime. Mais ta maman, si menue, si douce, était si fière de son ventre arrondi.

Quand tu es née, j'étais très contente de t'offrir un petit pyjama et quelques chemisettes. Je n'oubliais pas une petite voiture pour ton grand frère, jaloux de ta nouvelle présence.

Depuis ta naissance, je ne t'entendais jamais pleurer, c'est pour cela que je disais à ta maman que tu étais un ange. Je t'appelais “Mi angelita” !


Et puis, avec ta maman et ses deux enfants, même si nous n'étions pas souvent là, on s'est un peu mieux connu. Les relations de voisinage sont souvent les plus durables. Je l'ai invitée à venir passer quelques jours à la maison. Elle hésitait, n'osait pas. On se connaissait peu, nous étions des étrangers. Finalement, notre premier lien de connaissance est passé par Émilia, notre petite chihuahua, qui attirait, en dépit de son mauvais caractère, ton grand frère. Et un jour, nous avons dû venir dans notre petit appartement en ville avec notre chien fou, Charlie, qui s'est révélé le grand copain de ton grand frère. Et toi, mon ange, tu souriais toujours. Je me souviens de la petite robe que je t'ai offerte un jour. Tu n'as, je crois, pas eu le temps de la porter.

Et vous êtes venus, ta maman, ton grand frère et toi, passer quelques jours à la maison. Notre maison avait jusque là peu résonné de cris d'enfant, car nos enfants sont de jeunes adultes qui n'ont pas d'enfants. Je ne dis pas de pleurs car je ne t'ai jamais entendu pleurer. Il ne me reste que ton sourire, rayonnant, qui me poursuit. Durant ces jours heureux, tu as connu la plage, tu es allé au concert de Noël dans une église, au restaurant, te promener dans le campo, toujours avec ce magnifique sourire ! Pas de pleurs, ni à la maison, ni en voiture, ni dans ta poussette.

Qui donc a été jaloux de ton aptitude au bonheur ? Pourquoi toi et pas un autre ? Sans réponse.

On prévoyait d'autres balades, d'autres séjours, je disais que tu étais ma petite-fille par adoption puisque je n'en ai pas.

Noël et la nouvelle année se passent. Je choisis vos cadeaux avant de retourner dans notre petit appartement de la ville. Pour toi, un nounours tout doux en peluche.

Juste avant notre arrivée, ta maman m'envoie un message comme quoi tu sembles avoir la dengue et que, par précaution, pour faire quelques analyses, tu viens d'être hospitalisée, dans l'hôpital le plus connu de l'île. La dengue, je connais. J'ai souffert d'une dengue grave, il y deux ans. J'ai été longuement hospitalisée, ici, puis en France. J'ai mis plus d'un an à récupérer.
Cela m'inquiète, mais tes parents sont confiants. On va te voir, au service de soins intensifs pédiatriques, enfin, on voit ta maman, qui va rester là, sur une chaise, dans le couloir de l'hôpital pendant une semaine. On passe la voir, juste pour lui dire qu'on est là. Elle me demande de prier et moi qui ne suis pas croyante, me voilà dans la cathédrale à chercher une bougie que je n'ai pas trouvée pour l'allumer pour toi.

Ton papa qui passe tous les jours nous donne des nouvelles, on attend le jour suivant qui doit être décisif, puis le suivant, et encore le troisième jour...
Je finis par comprendre, lors de ma dernière visite à l'hôpital, en parlant avec ta maman qui continue à vouloir croire et espérer, c'est normal, c'est tout son amour qu'elle exprime, je comprends au bout de cinq jours que tu es déjà loin de nous, encore reliée à la vie par de nombreux tuyaux mais....

Je suis obligée de repartir chez moi, dans ce campo où tu es venue il y a quelques semaines et que tu regardais avec ton sourire rayonnant comme tu regardais tout dans la vie.

Je me lève ce vendredi de bonne heure et trouve un message oral envoyé la nuit par ta maman qui m'explique que tu vas aller mieux, qu'elle a parlé avec un médecin qui, comme moi, ne croyait pas et qui l'avait assuré que je deviendrais croyante grâce à toi, Emma. Je venais d'écouter ce message quand une petite sonnerie m'avertit d'un nouveau message :

“Emma esta con Dios”

Ma première réaction est de dire “Non”, un non inutile, suivi d'un “Pourquoi ?”
Il n'y a pas de réponse, il n'y a que l'injustice.

J'admire ta maman qui, avec sa foi, m'explique que Dieu l'a voulu ainsi, qu'il t'a donnée à elle et t'a reprise. J'admire son courage qui lui permet de continuer à vivre. Elle veut que ton si rapide passage parmi nous serve à d'autres enfants, en particulier à ceux qui n'ont pas accès aux soins. Elle se démène pour monter son association :

“No mas Emma”

Elle me dit :”Tu seras la marraine de mon prochain bébé”.

Et moi, je vois toujours ton sourire lumineux, Emma. Tu resteras mon angelita !