Mon petit ange,
Je pense souvent à toi,
le petit ange parti si brusquement et beaucoup trop tôt, avant même
d'avoir commencé à essayer de vivre !
A priori, tu n'es ni mon
enfant, ni ma petite-fille, juste le bébé de ma jeune voisine, que
j'ai vu naître et surtout sourire depuis sa naissance.
Je t'ai vue grandir dans le
ventre de ta maman, dont j'osais parfois effleurer le ventre, comme
on le fait si souvent, je le faisais timidement, tant ce geste me
paraît intime. Mais ta maman, si menue, si douce, était si fière
de son ventre arrondi.
Quand tu es née, j'étais
très contente de t'offrir un petit pyjama et quelques chemisettes.
Je n'oubliais pas une petite voiture pour ton grand frère, jaloux de ta
nouvelle présence.
Depuis ta naissance, je ne
t'entendais jamais pleurer, c'est pour cela que je disais à ta maman
que tu étais un ange. Je t'appelais “Mi angelita” !
Et puis, avec ta maman et ses
deux enfants, même si nous n'étions pas souvent là, on s'est un
peu mieux connu. Les relations de voisinage sont souvent les plus
durables. Je l'ai invitée à venir passer quelques jours à la
maison. Elle hésitait, n'osait pas. On se connaissait peu, nous
étions des étrangers. Finalement, notre premier lien de
connaissance est passé par Émilia, notre petite chihuahua, qui
attirait, en dépit de son mauvais caractère, ton grand frère. Et
un jour, nous avons dû venir dans notre petit appartement en ville
avec notre chien fou, Charlie, qui s'est révélé le grand copain de
ton grand frère. Et toi, mon ange, tu souriais toujours. Je me
souviens de la petite robe que je t'ai offerte un jour. Tu n'as, je
crois, pas eu le temps de la porter.
Et vous êtes venus, ta maman,
ton grand frère et toi, passer quelques jours à la maison. Notre
maison avait jusque là peu résonné de cris d'enfant, car nos enfants sont de jeunes adultes qui n'ont pas d'enfants. Je ne dis pas
de pleurs car je ne t'ai jamais entendu pleurer. Il ne me reste que
ton sourire, rayonnant, qui me poursuit. Durant ces jours heureux, tu
as connu la plage, tu es allé au concert de Noël dans une église,
au restaurant, te promener dans le campo, toujours avec ce magnifique
sourire ! Pas de pleurs, ni à la maison, ni en voiture, ni dans
ta poussette.
Qui donc a été jaloux de ton
aptitude au bonheur ? Pourquoi toi et pas un autre ? Sans
réponse.
On prévoyait d'autres balades,
d'autres séjours, je disais que tu étais ma petite-fille par
adoption puisque je n'en ai pas.
Noël et la nouvelle année se
passent. Je choisis vos cadeaux avant de retourner dans notre petit
appartement de la ville. Pour toi, un nounours tout doux en peluche.
Juste avant notre arrivée, ta
maman m'envoie un message comme quoi tu sembles avoir la dengue et
que, par précaution, pour faire quelques analyses, tu viens d'être
hospitalisée, dans l'hôpital le plus connu de l'île. La dengue, je
connais. J'ai souffert d'une dengue grave, il y deux ans. J'ai été
longuement hospitalisée, ici, puis en France. J'ai mis plus d'un an
à récupérer.
Cela m'inquiète, mais tes parents
sont confiants. On va te voir, au service de soins intensifs
pédiatriques, enfin, on voit ta maman, qui va rester là, sur une
chaise, dans le couloir de l'hôpital pendant une semaine. On passe
la voir, juste pour lui dire qu'on est là. Elle me demande de prier
et moi qui ne suis pas croyante, me voilà dans la cathédrale à
chercher une bougie que je n'ai pas trouvée pour l'allumer pour toi.
Ton papa qui passe tous les
jours nous donne des nouvelles, on attend le jour suivant qui doit
être décisif, puis le suivant, et encore le troisième jour...
Je finis par comprendre, lors
de ma dernière visite à l'hôpital, en parlant avec ta maman qui
continue à vouloir croire et espérer, c'est normal, c'est tout son
amour qu'elle exprime, je comprends au bout de cinq jours que tu es
déjà loin de nous, encore reliée à la vie par de nombreux tuyaux
mais....
Je suis obligée de repartir chez
moi, dans ce campo où tu es venue il y a quelques semaines et que tu
regardais avec ton sourire rayonnant comme tu regardais tout dans la
vie.
Je me lève ce vendredi de bonne
heure et trouve un message oral envoyé la nuit par ta maman qui
m'explique que tu vas aller mieux, qu'elle a parlé avec un médecin
qui, comme moi, ne croyait pas et qui l'avait assuré que je
deviendrais croyante grâce à toi, Emma. Je venais d'écouter ce message quand
une petite sonnerie m'avertit d'un nouveau message :
“Emma esta con Dios”
Ma première réaction est de
dire “Non”, un non inutile, suivi d'un “Pourquoi ?”
Il n'y a pas de réponse, il n'y a
que l'injustice.
J'admire ta maman qui, avec sa
foi, m'explique que Dieu l'a voulu ainsi, qu'il t'a donnée à elle
et t'a reprise. J'admire son courage qui lui permet de continuer à
vivre. Elle veut que ton si rapide passage parmi nous serve à
d'autres enfants, en particulier à ceux qui n'ont pas accès aux
soins. Elle se démène pour monter son association :
“No mas Emma”
Elle me dit :”Tu seras la
marraine de mon prochain bébé”.
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