dimanche 24 mai 2020

GOLONDRINA

Une GOLONDRINA est une hirondelle.
C'est ainsi que Linette et Martin ont appelé leur fille, née dans la lointaine Caraïbe.
Une petite fille mutine, joyeuse, arrivée après bien des interrogations pour ses parents à peine sortis de la Grande Guerre et qui ont posé leurs valises et construit une nouvelle vie sous les tropiques.
Mais on ne se débarrasse pas si facilement de son passé...

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Un extrait pour vous tenter ...


Comme Monsieur le curé l'avait prévu, la guerre fut longue. Hommes et bêtes s'enlisaient dans la boue des tranchées, de nouvelles armes les tuaient, les blessaient, les mutilaient. Les batailles meurtrières ne servaient à rien: aucun des fronts n'avançait, les soldats tombaient, survivaient dans des conditions indignes et les femmes de l'arrière tenaient le coup, s'occupaient des enfants, travaillaient dans les champs et dans les usines, vivaient dans la terreur de la lettre qui arriverait leur annonçant la mort d'un mari, d'un père, d'un frère, d'un fiancé, d'un ami. On manquait de tout, on essayait de se débrouiller avec ce qu'on produisait ou échangeait. De temps en temps, les hommes revenaient en permission. On était heureux de les revoir, mais on ne les reconnaissait plus. Eux- mêmes semblaient perdus dans leur ancien monde.
Augustin était revenu une fois, pour une permission de trois semaines. La famille était heureuse qu'il soit encore en vie, car dans le voisinage, le facteur avait apporté plus d'une fois de mauvaises nouvelles dans plusieurs maisons dont les femmes se drapaient ensuite de noir.
Mais qu'était devenu l'homme fort, rieur, joueur, fils affectueux, père aimant, mari amoureux ? C'était vraiment Augustin, cet homme voûté, maigre, les yeux vides, qui restait avachi sur le banc près du foyer sans bouger, sans parler, sans sortir ? Il avait simplement été voir le curé plusieurs fois, lui qui n'était pas un paroissien des plus assidus. Linette remarqua qu'il en revenait souvent avec les yeux rougis, comme s'il avait pleuré. Il s'asseyait, encore plus silencieux que d'ordinaire, semblait parfois murmurer tout seul et tordait ses mains et ses doigts qu'il n'occupait plus à aucun des travaux de la ferme. C'était en 1916 qu'il était revenu, la guerre durait depuis deux ans et semblait ne jamais vouloir s'arrêter. Linette s'asseyait près de lui et posait sa tête sur son épaule ou ses genoux. Il lui arrivait de caresser les cheveux de la fillette qui l'entendait chuchoter.
— La guerre, ma chérie, c'est l'horreur. On avance, on recule, les obus explosent, on est couvert de boue, on vit au milieu des rats, des immondices, des cadavres qu'on dépouille pour prendre leurs vêtements, leurs chaussures, leurs rations, car on a froid, on a faim, on a soif. Ah, ça, ils n'oublient pas de nous livrer du vin, les officiers de l'arrière, surtout avant les assauts, pour qu'on soit ivres quand il faut monter au front. Les autres, les boches, c'est pareil, ils souffrent autant que nous. On est parfois tellement proches, qu'on se parle. Il y en a qui refusent d'attaquer. Je vais refuser bientôt,



ils m'ont rien fait à moi, les boches. Je vais te dire, ma petite, j'en ai rien à foutre de l'Alsace et de la Lorraine. Je connais pas, j'y ai jamais été et j'irai jamais. Je suis fatigué, ma petite fille, fatigué. Je ne veux plus continuer cette boucherie. Je suis un homme, pas une bête sauvage.




samedi 23 mai 2020