dimanche 24 novembre 2019

J'ai été une femme battue !

Il m'aura fallu plus de trente ans pour en faire la déclaration publique !
C'est difficile psychologiquement et moralement .
Il faut surmonter la honte, la peur, violer son intimité.
C'est l'actualité concernant les féminicides qui m'a fait sauter le pas avec beaucoup de difficultés.
Une situation pas facile à reconnaître, des humiliations, des insultes, des coups, des menaces qui restent ancrés et qui, malgré les années, ne s'effacent pas.
Mais c'est un modeste témoignage que je veux apporter malgré l'envie de ne rien dire, de cacher une situation humiliante.
Si cela peut permettre à une seule femme de ne pas supporter une situation semblable, j'aurais gagné... contre moi et contre la société.
Pour clamer aussi que c'est dans tous les milieux, même les plus diplômés ( on le cache encore davantage, la honte est plus grande) et qu'il faut refuser, partir...
Il est certainement (je l'espère) plus facile actuellement d'avouer et de porter plainte.
Il y a trente ans, c'était plus compliqué: aller à la gendarmerie pour dire que son époux, un cadre haut placé de la centrale nucléaire voisine, vous a frappée, humiliée, menacée, était compliqué et non recevable.
Savoir que les voisins (et collègues) ont entendu les cris et les coups, mais sont restés tapis chez eux et surtout ne témoigneront pas.
Recevoir des coups alors qu'on est enceinte.
Se retrouver dehors au milieu de la nuit avec ses deux jeunes enfants. J'avais pris l'habitude d'avoir un sac avec quelques vêtements.
Vivre dans la peur, peur de l'autre, de ses menaces, comme projeter la voiture contre un arbre.
Vivre dans l'humiliation, s'entendre dire constamment qu'on est un loser, que vous acheter une voiture neuve, c'est donner de la confiture à un cochon, par exemple! Une expression qui peut paraître puérile mais qui me poursuit.
Trente ans après, j'entends toujours ces phrases qui m'ont détruite.
Un jour, où il avait tout cassé dans la maison, il a fait venir un médecin à qui il a dit qu'il fallait m'enfermer. Ce dernier lui a répondu que, s'il y avait quelqu'un à enfermer, c'était lui ! Mais pas plus, c'est resté là !  .
Mes chiens m'ont défendue, plusieurs fois.
C'est certainement la raison pour laquelle j'ai des gros chiens, non en fait des chiennes. Quand j'y pense, ce n'est pas un hasard d'avoir délibérément choisi des femelles. Elles m'ont sauvée plusieurs fois car il en avait peur. Mes dogues constituent une protection.
Comment oublier les nuits réveillée car il m'empêchait de dormir, les visites impromptues au lycée où j'enseignais, les essuie-glace arrachés pour m'empêcher d'aller travailler, ma planche de salut, les clés de voiture jetées par la fenêtre ...
Une démolition psychologique dont on ne se remet jamais complètement, mais dont on a honte aussi.
J'ai eu de la chance finalement d'avoir des gens qui m'ont aidée, mais la peur, la mauvaise image de moi sont toujours là.
Ne pas laisser voir, ne pas en parler,  dans la société, au travail, tout cacher parce qu'on a honte, parce qu'on a peur.
Se sentir presque coupable ! Chercher des excuses et toujours avoir peur, avoir honte !
Se sentir diminuée, se sentir inférieure, se remettre en doute, c'est le lot quotidien.
Dépressions, maladies, mal-être ! On n'en sort pas indemne.
Panser ses blessures n'est pas facile.
Alors, présenter une face forte, aimable, m'a-t-il aidée ?
Je ne sais pas, mais les plaies, peut-être moins béantes maintenant, restent profondément gravées.
Fuir, fuir dès les premiers signes de violence, d'humiliation. Ne pas croire qu'on peut changer les gens. Ne pas chercher des raisons dans leur passé, leur famille.
Partir, ne pas pardonner, ne pas croire à leurs simagrées !
Il n'y a pas d'excuses, ni culturelles, ni familiales.
Leur seul objectif est de détruire l'autre dont ils ne supportent pas l'existence.
La destruction physique et psychologique de l'autre est jouissive chez eux.
Se reconstruire est difficile.
J'ai mis trente ans pour en parler publiquement, pour l'écrire, ce que je n'ai jamais osé faire !
Courage ? Je ne sais pas .
Sans doute, est-ce pour cela que j'aime autant les animaux !
Un refuge, tout comme l'écriture, la lecture, l'isolement, la recherche spirituelle.
J'en suis ressortie humiliée, cassée, blessée, méfiante, sous une carapace vernissée, souriante, pessimiste.
Défendez-vous !
Je publie avant de tout effacer.


1 commentaire:

  1. Moi aussi j'ai vécu cet enfer de 1962 à 1980. J'ai traversé bien des épreuves et je me suis tue. Commencer sa vie à 36 ans ce n'est pas facile...Je me suis tue, parler m'était devenu impossible, j'ai choisi le silence pour me préserver des jugements et de l'indifférence et comment raconter l'inracontable ?

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